L’accumulation des surprises politiques a fait l’effet d’un nouvel électrochoc aux professionnels des médias. Dépourvus d’une multiplicité de perspectives représentatives du public, l’analyse échoue systématiquement à cerner une réalité pour le moins évanescente. La multiplication des sources d’information – pour ne pas parler de leur dilution – avait déjà dessiné de nouvelles ambitions pour la presse, et ce nouveau coup au système traditionnel marque l’explosion possible du journalisme.
Si cette perspective inquiète certains privilégiés d’un paysage hégémonique à dominante masculine et occidentale, elle a de quoi réjouir ceux qui jusque-là restaient en marge des opportunités. Comme la photographe Daniella Zalcman le résume : « L’industrie est basée sur un modelé colonialiste à l’attitude impérialiste. On a besoin d’entendre la voix des femmes, mais aussi des minorités et des professionnels des pays en voie de développement. Ça ne pourra qu’améliorer la façon dont on couvre des sujets. » La suprématie de l’objectivité est depuis longtemps révolue. On sait dorénavant l’importance de documenter de l’intérieur, de donner à un membre d’une communauté, quelle qu’elle soit, l’opportunité de la décrire car son accès y est plus intime.
Il n’empêche, le déséquilibre des voix publiées est toujours palpable aujourd’hui. Et ce, malgré la multiplication des bourses pour journalistes de couleur aux Etats-Unis, la création d’initiatives professionnelles comme Women in Journalism en Angleterre ou IWMF aux Etats-Unis, et la prolifération des formations pour les photographes des pays émergents en Asie, Afrique et Amérique du Sud.
Sur le front des sexes, changer les pourcentages demandera aux éditeurs d’élargir leur carnet d’adresses, aux collègues masculins de changer d’humour – « Je ne compte plus le nombre de fois où un collègue m’a dit « quel gros appareil photo pour une si petite femme ! », s’exaspère la photographe Daniella Zalcman –, aux femmes établies de devenir mentors, et aux autres de se soutenir.
C’est chose faite avec Women Photograph, tout à la fois site Internet et hashtag sur les réseaux sociaux. Lancé il y a un mois par la même Daniella Zalcman, le projet se présente pour l’instant sous la forme d’un site listant plus de 525 femmes photographes à travers le monde. « Le problème, c’est que l’on parle de cela depuis cinq ans ou plus et que rien ne change », explique-t-elle. « Je veux que les éditeurs pensent à qui ils embauchent », ajoute-t-elle. Le site est complété d’un rolodex digital à destination des éditeurs photo avec coordonnées et références professionnelles utiles qui est déjà utilisé par sept publications majeures aux Etats-Unis. Et ce n’est qu’un début, puisque les perspectives associées sont multiples, à commencer par des bourses pour soutenir le développement de travaux photographiques. La première, d’un montant de 5000 dollars et soutenue par le Pulitzer Center, récompense une professionnelle établie, tandis que trois autres bourses, d’un montant individuel de 2500 dollars et soutenues par la société ONA, récompenseront des photographes émergentes.
Le but est essentiellement de faire basculer les statistiques actuelles, où environ 50% des étudiants en photographie sont des femmes et que ce nombre chute presque de moitié après 25 ans. « Les cinq premières années sont critiques. J’ai eu la chance à 20 ans d’être soutenue par une photographe établie qui m’a aidée à faire face aux adversités que je rencontrais sur le terrain en tant que femme », note-t-elle avec reconnaissance, consciente que ce soutien l’a aidée à former son unique grammaire visuelle.
Comme le formulait Leslye Davis dans une interview avec le journaliste James Estrin récemment publiée sur le NYT Lens Blog : « En tant que femme photojournaliste, tu dois avoir la possibilité de raconter des histoires à travers le prisme de ta propre perspective. Tu devrais être publiée, et tu devrais aussi avoir cette possibilité si tu es noir ou si tu vis en Afrique sub-saharienne. Ou si tu es Indien, ou Japonais – l’unicité de ton point de vue a de la valeur, et c’est dans l’intérêt de tous qu’il soit partagé ».
Pour ceux qu’il reste à convaincre, il suffit d’aller voir l’expo de la Fondation Annenberg a Los Angeles, #GIRLGAZE, du nom de l’initiative soutenue entre autres par Lynsey Addario et Collier Schorr.
Laurence Cornet
Laurence Cornet est journaliste spécialisée en photographie et commissaire d’expositions indépendante. Elle partage sa vie entre New York et Paris.
Liens :
https://www.womenphotograph.com/
https://www.annenbergphotospace.org/exhibits/girlgaze