Rechercher un article

Take me to the water, baptêmes en eau vive

Preview

L’exposition Take me to the water présente une vingtaine de photographies de baptêmes d’eau prises entre 1880 et 1930 dans le Sud et le Midwest des Etats-Unis. Offerts à l’ICP de New York en 2007 par les collectionneurs Janna Rosenkranz et Jim Linderman, ces clichés offrent une immersion originale dans les eaux bénites de l’Amérique rurale.

Jim Linderman n’a certainement pas oublié l’exposition choc de James Allen sur le lynchage des noirs aux Etats-Unis. Le souvenir de ces images exposées avec succès en 2000 à New York sous le titre Without Sanctuary, puis aux Rencontres d’Arles en 2009, a ravivé l’intérêt de ce collectionneur pour ses clichés de cérémonies de baptêmes, chinées dans les marchés aux puces et chez les antiquaires. Conscient de leur valeur documentaire, Jim Linderman a fait don de son stock de plus de 200 photos à l’ICP, en 2007, dans l’optique d’une exposition.

Une vingtaine d’entre elles, sélectionnée par Erin Barnett, commissaire de l’exposition, apportent un témoignage original sur les pratiques religieuses issues des classes populaires de l’Amérique profonde. Rassemblement de foule, scènes d’immersion, baptêmes d’afro-américains. La « couleur locale » de ces clichés en fait une source exceptionnelle d’étude pour anthropologues, explique Erin Barnett. Perçues comme une curiosité ethnologique par les américains du nord, ces baptêmes, célébrés aussi bien par les blancs et les noirs du sud, excitent aussi la curiosité d’une Amérique encore ségrégationniste.

« Les gens ne voyaient pas les baptêmes d’un œil raciste mais plutôt comme une pratique culturelle différente des leurs », souligne Erin Barnett. L’omniprésence de la rivière, transformée en lieu de culte, et la présence massive de la foule venue assister à la cérémonie introduisent une tension dramatique à l’œuvre. La composition, accentuant la densité de la foule par le cadrage grand angle ou le panoramique, apporte un cachet spectaculaire supplémentaire pour le voyageur en mal d’exotisme.

En plein âge d’or de la carte postale, ces instantanés représentent surtout une source d’argent facile pour les photographes. « A l’époque, chaque événement était diffusé en carte postale », rappelle Erin Barnett. Professionnels ou amateurs, vedettes locales ou anonymes, les photographes revendaient leurs clichés à la foule qui assistait au baptême. « Ils essayaient de cadrer large pour pourvoir vendre leurs cartes postales aux personnes présentes sur la photo », rappelle la conservatrice. D’autres photographes, parfois visibles dans le champ, n’étaient seulement que des itinérants qui imprimaient leurs films pour les placer dans un album.

A l’époque, deux types de cartes postales sont imprimées : celles destinées au particulier, éditée pour devenir un souvenir et celle qui sera développée en masse. Cette dernière, conçue pour voyager, va détourner la photographie de sa nature testamentaire originelle. Dans une Amérique où l’idée de différence raciale va de soi, ces clichés de rituels religieux largement perpétués pas les populations noires ont servi malgré eux de support à l’imaginaire blanc ségrégationniste. « Une partie du projet était de sensibiliser le public à la carte postale en tant qu’objet », poursuit Erin Barnett. Au verso des cartes postales, des commentaires témoignent de l’étonnement. D’autres, ouvertement racistes, tournent en ridicule l’acte sacré du baptême.

Take me to the river ravive ainsi l’intérêt pour le travail de confrontation entre le photographe et l’héritage culturel afro-américain. Certes, les clichés de ces baptêmes protestants sous forme de cartes postales ou de photographies-souvenirs n’ont pas la violence des meurtres racistes de Without Sanctuary. Mais le détournement de ces photographies d’hommes noirs présentées comme des bêtes curieuses rappellent l’Amérique à ses vieux démons. « Ces clichés sont un autre exemple de la fracture ségrégative dans la société américaine de l’époque. Ils révèlent un visage souvent irrespectueux ».

Jonas Cuénin

Take me to the water : Photographs of river baptisms

Jusqu’au 8 mai
International Center of Photography
1133 Avenue of the Americas at 43rd Street
New York, NY 10036

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android