En 2012, nous publiions un portrait de Sylvie Grumbach par Caroline Mangez.
Depuis vingt-cinq ans bientôt, à Visa, il y a « Leroy », et elle : une Reine. Perpignan, leur royaume, n’a pas de secrets pour Sylvie Grumbach. Du reste, elle l’a parcouru à peu près dans tous ses états, sur deux pieds, un pied, et même des béquilles, et y a croisé, tard le soir, ou au petit matin, beaucoup dans le plus sale des états. Bref, on ne la lui fait pas. D’un regard, elle vous couve ou…vous fusille.
A la projo, un visage triste, une maladresse dites qu’il faudra réparer, un rire opportun, un autre qui l’est moins : rien ne lui échappe. Sylvie a des yeux derrière la tête, des espions à tous les rangs : son armée de fidèles, une légion avec le temps. Parmi eux des combattants, des vétérans et les fameuses « Visettes », jeunes filles souriantes qui vous badgent, vous placent, vous orientent et en fin de semaine finissent par vous reconnaître. Tandis que Kadhafi paradait avec ses amazones, Sylvie formait des bataillons de ces Rastignac en jupons qui aussitôt sortis des siens se sentaient pousser des ailes pour partir à la conquête de Paris, du monde. La voie royale…
Soit dit en passant, le festival était sans doute plus fun à l’âge d’or du photojournalisme que par temps de crise… Pas un soupir pourtant, pas un pli, aucune nostalgie affichée. Altière, aux côtés de « Jean-François », Sylvie tient la barre, même par grands vents. Un vrai couple. En une seconde, elle le décode, d’un mot le désamorce, observe bienveillante ses lubies.
Reine elle fut en son palais du Pam’s, Reine elle demeure dans le gymnase du Palais des Congrès. Elle donne du style à un bureau Empire aussi bien qu’à une table en formica. La noblesse vient d’elle, non du lieu. Elle l’habite, l’habille. Au fil des éditions, la coupe de cheveu, courte, varie subtilement, comme un jardin japonais, les montures de lunettes, plus ou moins sévères, chaque fois, et son style, inimitable, élégant, reste immuable. Noir ou Blanc. Comme son point de vue : tranché. Elle peut paraître glaciale. Impressionne au minimum. Cette distance, c’est son extrême politesse, le recul nécessaire pour laisser venir l’autre. Sylvie a cette incroyable faculté de traverser les époques, les milieux…A l’aise parmi tous, avec chacun, avec tous les sujets. Passée dans l’enfance par le couvent, grandie dans des lambris où on louait le socialisme de Mendes-France, son oncle, déesse des nuits du Palace : à force de grands écarts, elle a appris la maîtrise. Le seul qu’elle ne feint même plus de dominer, finalement, c’est Chabry, ce chien noir made in Perpignan, qui lui colle aux basques, et montre les crocs chaque fois qu’elle se met à danser. Ce qui finit toujours par arriver, quand le festival s’achève.
Le reste de l’année, entre deux incursions dans ses autres mondes, ceux de la Mode, de l’Art, de la Culture, trois parties de Yams, et quatre massages ayurvédiques, Sylvie continue de veiller sur la vaste et hétéroclite tribu du photojournalisme. Huîtres et pot au feu, petits pois du jardin ou patates vapeur, vodka – avec ou sans herbe de bison -, grands crus ou fonds de bouteilles, bonnes ou mauvaises nouvelles, au gré des saisons, elle leur fait à peu près tout avaler. Elle pourrait faire passer des coquillettes jambon beurre pour du caviar, et l’inverse aussi. Tout ce qu’elle donne est si immense, si délicatement tendre, elle paraît si loin, elle est très proche, en fait.
Caroline Mangez