Rechercher un article

Suzanne Opton par Jean-Christian Bourcart

J’ai rencontré Suzanne Opton en 2008 aux rencontres FotoFest de Huston où elle présentait sa série « Soldier ». Après de nombreuses tentatives, elle avait trouvé une caserne qui l’autorisait à photographier les jeunes troupes de retour d’Irak. Elle avait eu l’idée – qui devait leur sembler bien saugrenue – de demander aux soldats de poser leur tête nue sur une table. Cadrés en gros plan, ces beaux visages aux couleurs pastel étaient offerts à de nombreuses interprétations. Un sentiment de douceur, de vulnérabilité, de proximité, mais aussi quelque chose de morbide dans la fixité et l’absence de toute émotion induisaient un réseau de sentiments variés chez le spectateur. Ces photographies étant si éloignées de toute iconographie militaire ou guerrière qu’elles semblaient « parler» des traumatismes de ces jeunes gens et de leurs difficultés à intégrer l’impact de la guerre sur leur vie présente. Suzanne montra la série dans différents festivals, en galerie, puis entreprit de les déployer sur des grandes affiches dans plusieurs villes, dont Denver pendant la convention républicaine de 2008. Les contrats fut négociés, tout était réglé jusqu’à quelques jours de l’ouverture de la convention quand l’afficheur refusa soudainement de les montrer, prétextant que les personnes représentées ressemblaient trop à des morts. L’affaire fut débattue dans les medias nationaux et Suzanne défendit son projet en disant : « Je voulais juste montrer l’image d’un soldat intime et vulnérable. Je me demande si on peut déceler sur un visage quand la personne a vu quelque chose d’inoubliable…Ils ont l’air troublés, mais être soldat n’est pas chose facile. Pourquoi faudrait-il le cacher ? ».

Si je vous parle de cet épisode plutôt que de faire un portrait plus conventionnel de Suzanne – une charmante et talentueuse personne, soyez en certain-, c’est qu’il me semble particulièrement important de noter ce moment béni où une photographie, grâce à sa justesse formelle, va provoquer un débat public sur un sujet de société épineux (on pensera ici à Erich Salomon, Lewis Hines, Eugène Smith à Minamata, Abu Ghraib…). Quand Suzanne commença cette série en 2004, elle n’avait bien sûr aucune idée que la discutions autour de sa diffusion allait mettre en évidence les limites de la liberté d’expression – particulièrement actives en temps de guerre – , dévoilant ainsi les censures subtiles qui briment les possibilités de représentation, donc de compréhension, du monde qui nous entourent.

Jean-Christian Bourcart

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android