À Paris, le musée du Jeu de Paume présente une rétrospective complète dédiée à la photographe américaine Susan Meiselas, accompagnée d’un catalogue réfléchi.
Les œuvres rassemblées pour l’exposition installée au Jeu de Paume à Paris et co-produite avec le MoMA de San Francisco ainsi que la Fundacio Antoni Tapies couvrent toute la carrière de Susan Meiselas. Cette rétrospective d’importance met en scène des séries rarement publiées ou exposées, et se donne pour mission d’éclairer les questions que pose son travail depuis ses débuts. Susan Meiselas interroge en permanence le rôle de la photographie en tant que vecteur d’information et support du souvenir et par conséquent, l’apport du photographe, du sujet ainsi que celui du public au sens large – y compris dans les média et la politique. C’est dans ce contexte que l’installation nous encourage à regarder ce corpus de quarante ans en termes de recoupements et de cohérence. Il est important d’ailleurs de noter que le titre choisi, Médiations, était à l’origine celui d’une exposition organisée pour la sortie du premier livre de la photographe sur le Nicaragua. Transcendant les limites du temps et de la géographie, les co-commissaires Carles Guerra, directeur de la Fundacio Antoni Tapies, et Pia Viewing, commissaire au Jeu de Paume, nous invitent à des allers-retours incessants.
Les huit personnes ayant contribué au catalogue de l’exposition semblent s’accorder sur le fait que l’expérience de Susan Meiselas au Nicaragua a représenté un tournant décisif. Pourtant, chacun d’entre eux propose des corrélations différentes au sein de son œuvre et nous incite à en déduire d’autres. Ainsi que l’écrit Eduardo Cadava, « nous pouvons commencer ainsi à lire votre œuvre et y voir des images de manières différentes, inattendues, et à mon sens, riches et productives à l’extrême ». Leurs façons de voir si distinctes attestent de la complexité de Susan Meiselas en tant que photographe – elle qui se révoltait contre les codes sempiternels du photojournalisme, choisissait fréquemment de se concentrer sur l’invisible, se dressait contre l’impérialisme des institutions, et s’inquiétait que la photographie ait en partie façonné l’histoire contemporaine.
La plupart des contributeurs étant des amis de Susan Meiselas, ils apportent une dimension intime à l’analyse de son travail. Ce qu’écrit Kristen Lubben à cet égard est très révélateur : « elle observait des jeunes filles en train de devenir des femmes, et des femmes se débattant pour obtenir leur libre arbitre, tout en poursuivant sa propre transformation pour devenir une photographe et une femme différente ». Quant au texte d’Eduardo Cadava, il prend la forme d’une longue missive adressée à la photographe.
Le titre Médiations peut être considéré comme une référence au fait que pour Susan Meiselas, un photographe est le résultat d’une collaboration d’une sorte ou d’une autre avec son sujet. Pour Corey Keller, « Meiselas a une pratique profondément éthique axée sur la transformation du lien lourd de sens entre la personne qui photographie et celle qui se fait photographier, la nature de ce lien passant du pouvoir à l’échange ». C’est ainsi que peuvent se construire de nouvelles narrations sur les communautés et les lieux qu’elle a documentés.
En mai 2017, nous apprend Eduardo Cadava, Susan Meiselas a participé à la série The Desert Island Pics, à la Photo London Screening Room. L’exercice consiste à sélectionner les huit photographies que l’on voudrait emporter avec soi sur une île déserte. Ainsi qu’il le suggère, l’exposition est une invitation à choisir huit photos parmi les œuvres de Susan Meiselas, et à plonger au sein des multiples strates de ses travaux, de ses sujets et de ses techniques d’expression, ainsi qu’elle l’a fait elle-même au fil des ans.
Laurence Cornet
Laurence Cornet est journaliste spécialisée en photographie et conservatrice indépendante. Elle partage sa vie entre New York et Paris.
Susan Meiselas, Médiations
6 février – 20 mai 2018
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
75008 Paris
France
Catalogue : Susan Meiselas, Médiations
Préface de Carles Guerra et Marta Gili.
Textes d’Ariella Azoulay, Eduardo Cadava, Carles Guerra, Marianne Hirsch, Corey Keller, Kristen Lubben, Isin Önol, Pia Viewing.
Publié par Damiani
35,00 USD, 45,00 CND
