Les dix-sept personnes présentées dans l’ouvrage de Sunil Gupta et Charan Singh, Delhi: Communities of Belonging (Dehli : Communautés choisies) sont des jeunes et des vieux, célibataires ou mariées, des riches ou des ouvriers, et représentatives de divers genres et identités sexuelles. Qu’est-ce qui les unit ? En dehors de la ville qu’elles considèrent comme leur foyer, elles partagent un désir de liberté, de sécurité et de compréhension, dans un pays où elles ne sont pas également protégées par la loi.
En Inde, la section du code pénal considérant comme un crime d’avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe a été dépénalisée par le Tribunal Supérieur de Dehli en 2009, permettant à de nombreux Indiens LGBTQ de faire leur coming out et de s’organiser comme jamais auparavant. Mais la décision a été inversée par la Cour Suprême en 2013, renvoyant la communauté LGBTQ dans l’incertitude.
« Même si les gens vivent beaucoup plus ouvertement aujourd’hui, il reste toujours cette idée que c’est illégal dans ce pays, et si le gouvernement décide demain de prendre des mesures contre ces pratiques, nous sommes déjà tellement exposés que nous pourrions avoir beaucoup de problèmes », écrit un homme dans le livre.
Beaucoup d’hommes et de femmes de Delhi racontent leur expérience de ces évènements politiques récents – mais aussi plus largement leurs histoires personnelles – dans des textes écrits à la première personne, qui accompagnent leur portrait pris à domicile ou dans des espaces publics. Il en ressort une réflexion sur le flou étrange dans lequel se retrouvent aujourd’hui les Indiens LGBTQ. Le livre est une célébration de la vie et de l’amour, mais aussi un signal d’alarme. Les personnages de Gupta et Singh sont résistants, mais bien conscients de la précarité de leur position dans la société indienne.
Gupta et Singh sont tous les deux auteurs d’une œuvre précédente consacrée au genre et à la sexualité en Inde. La série récente de Gupta, Mr. Malhotra’s Party (La Fête de M Malhotra) collecte par exemple des portraits d’habitants queers de Dehli pris dans des environnements publics, où les sujets regardent directement l’objectif. Les sujets de la série de portraits studio de Singh, Khotis, Hijras, Giriyas et les autres, s’engagent de façon similaire face à l’appareil.
Dans Delhi, le style se rapproche bien plus du documentaire traditionnel que dans ces deux œuvres. Par conséquent, les images n’ont pas leur poésie, mais cette faiblesse est compensée par des sujets fascinants et des histoires puissantes.
Si tous ces individus sont en danger en Inde, les plus chanceux sont conscients que leur expérience diffère largement de ceux dont le genre, la classe, le lieu de vie ou l’apparence représentent un véritable péril – comme Jatin, appartenant à la communauté des Dalits (les Intouchables), qui a été contraint d’épouser une femme avec laquelle il vit toujours.
« Il y a deux types de personnes : celles qui sont incroyablement courageuses et celles qui ont le privilège de faire ce qu’elles font », écrit Gautman, élevé aux Etats-Unis, qui a toujours affirmé ouvertement sa sexualité partout où il travaillait en Inde.
« Si ma liberté personnelle est menacée, j’ai des amis et une communauté pour me soutenir, je peux donc me permettre de prendre un risque », écrit une femme, Deepti.
Les expériences diffèrent d’une génération à l’autre. L’une des histoires les plus émouvantes du livre est celle d’Anita Dube, artiste contemporaine, la cinquantaine, tombée amoureuse d’une femme lorsqu’elle était à l’université, mais qui affirme qu’elle n’a eu depuis que des relations frustrantes avec des femmes mariées.
« Mon problème a été de ne pas pouvoir vivre une relation dans la durée comme je le souhaitais, vivre avec une autre femme. Je n’ai pas réussi cela, et j’ai 56 ans. Pour un tas de raisons, un changement de loi rendrait plus facile de trouver quelqu’un. J’ai vécu seule pendant vingt ans. Ça fait beaucoup. », écrit-elle.
En effet. Bien sûr, à Dehli, il y a ceux pour qui le 377 a signifié la ruine financière et les difficultés personnelles, mais il est peut-être encore plus déchirant d’apprendre à quel point la loi prive les gens d’amour, la plus fondamentale et la plus porteuse des expériences humaines. Voilà qui met en avant, peut-être plus que n’importe quoi d’autre, le besoin de ce type d’échange que Gupta, Singh et leurs camarades de Dehli recherchent si ardemment.
Jordan G. Teicher
Jordan G. Teicher est un journaliste américain et critique basé à Brooklyn, New York.
Sunil Gupta et Charan Singh, Dehli : Communities of Belonging
Publié par The New Press
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