Sans commencement ni fin, Stéphane C. se livre à ce geste obsédant qu’est de photographier. Et qu’importe où il se trouve, ce qu’il fait. Car l’essentiel est d’arracher aux choses leur voile d’incertitude. Comme si la somme des apparences ne donnait du réel qu’une vision parcellaire et toujours indéfinie. Toujours vibrante, vivante. Ces images ne dévoilent pas un autre monde, il s’agit bien du notre, mais le photographe, avec une émouvante sincérité , tâche d’en relever ses blessures et ses déchirements. Tentative exacerbée de faire coexister sur un plan photographique, le réel et son double, comme vouloir faire entrer le jour dans la nuit.
A la fois reclus dans une solitude essentielle, mais sans cesse tourné vers le dehors, Stéphane C. répète à qui veut l´entendre qu´il prend le risque de vivre en retrait, contre la vanité du jeu social et contre la valeur d´un art dont les formes les plus couramment répandues l’écoeurent. Avec un mélange d´énergie, de ténacité , et une mélancolie qu´il a réussie à transformer en une pure nervosité réceptive, Stéphane C. capte les figures d´un monde sur le point de se fissurer. Et dans la chair des images, ces motifs s´agrègent les uns aux autres et nourrissent une série ouverte, toujours vivante. Il photographie peut-être pour éroder les contours de ces espaces trop lisses. Au pire, il les abîme davantage. Au mieux, il s´en rapproche en ne leurs promettant aucune consolation, juste de la vigilance tant qu´il en est encore temps.
S´il a travaillé longuement la matière de l´intime, il devine qu´il faut aller plus loin pour déplacer les limites d´un territoire et sortir aussi du petit monde de la photographie. Contrairement à des esthètes planqués dans leur chambre, Stéphane C. a compris que c´est en se frottant directement aux choses que ses yeux s´ouvriront pour eux-mêmes. Pour l´instant, ses yeux, il se contente de les écarquiller : il ne faut pas entamer davantage la blessure du regard. Le point de vue qu´il défend est celui d´un opérateur agissant, soucieux de ses contemporains, convaincu de devoir dé passer constamment ses champs d´action, d´ouvrir l´image à la musique, par exemple, aux grands mouvements du monde. Il rectifie sans cesse ses sélections. Terrifié à l´idée d´une oeuvre figée, terminée, qui aurait quelque chose, en somme, de mortel. Il préfère l´enrichir, l´amputer, constamment.
Et quoi de neuf, aujourd´hui, entre le soleil et l´ombre ? Il y a « le problème de type grec », comme disait Jean-Luc Godard, et cette virée récente du photographe à Athènes d´où il a rapporté un sac de pellicules consommées sur place, et des nombreuses heures d´images filmées dans la réalité qui ne tourne pas rond. Partir, rompre, revenir, construire…
(Amaury Da Cunha)
Stéphane C. a 36 ans, il vit à Paris.