En découvrant, un beau jour, que son fils était subitement passé d’enfant à jeune adulte, le photographe Steeve Iuncker s’est intéressé à ce moment de “transition” ou “passage”. Il a mené une recherche de plusieurs années sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, interrogeant l’absence de rites clairement identifiés dans nos sociétés laïques. Ses images captent des actes d’adolescents qui s’apparentent à des rites inconscients.
Prises de risques, quête d’oubli comme une forme de mort et renaissance, flirt avec les limites, actes transformateurs : le photographe tisse un paysage visuel subtil de la mue, et nous renvoie à nos propres rituels intimes. Il cartographie un territoire incertain, fait de flottements autant que de saignements, et interroge, sur un mode très personnel, une étape de la vie avec tout ce qu’elle comporte de risqué et de douloureux, dans un monde qui offre peu de points de repères. Saut en parachute, maternité précoce, fêtes alcoolisées, temps de latence et d’ennui, scarifications et tatouages, violence larvée ou canalisée dans le sport, les aspects abordés par le photographe ne cherchent pas à donner une définition universelle et univoque des rites de passage à l’adolescence. Il s’agit plutôt d’esquisser un portrait intime et nuancé d’une jeunesse en quête de soi.
Steeve Iuncker photographie en grand format argentique 4/5 pouces, un appareil qui induit une distance au sujet qu’il estime être “juste” – c’est-à-dire honnête et non intrusive. Sa démarche, à la fois intime et documentaire, est transformée au moment du tirage par un procédé pigmentaire analogique, le charbon quadrichrome Fresson. L’aspect pictural qui en résulte donne à ce travail très contemporain une matérialité et une esthétique intemporelles.
L’adolescence est une fêlure. « Mon travail vise à interroger une traversée fragile, qui hésite, qui défie, qui goûte aux limites pour se construire », dit-il. « Les rites de passage sondent symboliquement la mort pour savoir si vivre vaut la peine. Alors que l’adolescence ne se définit plus par un âge, dont les frontières temporelles se sont évanouies, peut-elle se décrire à travers un comportement, collectif ou individuel ? Naître, devenir adulte et mourir. »
Irène Attinger
Irène Attinger est responsable de la bibliothèque et de la librairie de la Maison Européenne de la Photographie, à Paris.
Steeve Iuncker, Se mettre au monde
Publié par Musée de l’Élysée, Lausanne / Le bec en l’air
38 €