Quand Stacey Baker tombe sur de belles jambes, elle doit agir vite. Il lui arrive de se mettre à courir sur le trottoir pour rattraper la femme avant qu’elle ne disparaisse, ou de se faufiler pour venir se présenter. Elle persuade vite les inconnues de poser pour elle, en sortant son iPhone de sa poche et en leur montrant quelques images de son compte Instagram @stace-a-lace.
Stacey Baker refuse qu’un bras ou une jambe n’apparaisse sur ses photos, qu’elle cadre toujours de façon à ce que le sujet soit coupé à la taille. Elle demande à sa muse de poser devant un mur à la texture prononcée. Elle compose ainsi chaque image, pour que les talons soient alignés avec la ligne d’horizon. Par cette approche disciplinée, Baker a compris comment s’approprier la pratique du portrait de studio dans le chaos de Manhattan.
A l’exception de quelques-unes, toutes les photos de cet album ont été prises à New York, dont environ un tiers sur la 40e rue, entre la 7e et la 8e avenue, un pâté de maisons choisi pour des raisons pratiques autant qu’artistiques. Il se trouve que Stacey Baker photographie pendant la pause de midi et qu’elle travaille non loin de là, comme qu’éditrice photo pour le New York Times Magazine. L’endroit fourmille de femmes sportives portant des leggings aux imprimés ahurissants : têtes de chat, plumes de paon, logos Batman, roses, la vague d’Hokusai, coeurs, croix, arbres, globes oculaires, crêtes, châteaux, étoiles, lèvres, cils, ongles ou le mot « love » répété à l’infini.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que cette série ait été accueillie avec enthousiasme par ses Instagramers, alors qu’elle aurait pu être perçue comme une objectivation ou une exploitation du corps de la femme. En lisant les commentaires laissés sur le compte de Stacey Baker, il est certain que ses abonnés, plus de 78.000, sont pour leur grande majorité des femmes, qui trouvent dans les sujets de Stacey Baker l’expression d’une autonomisation, d’une fierté et d’une affirmation joyeuse de soi. Son travail est ainsi devenu la célébration de la diversité des silhouettes féminines.
Stacey Baker a posté plus de 1000 photos à ce jour. Comme c’est parfois le cas avec les artistes – pour ceux qui ont de la chance –, elle a trouvé un sujet qui ne la lâchera pas. Il s’accroche à elle. D’abord séduite par la facilité à prendre des photos avec un téléphone portable, elle s’est ensuite laissée charmer par la folle diversité des jambes des new-yorkaises. La facilité à prendre des photos avec un téléphone a suscité une véritable révolution en photo. L’œuvre de Stacey Baker compte parmi les plus puissantes nées durant ce moment charnière de l’histoire de la technologie et de la mode.
Kathy Ryan
Kathy Ryan est la directrice de la photographie du New York Times Magazine.
Stacey Baker, New York Legs
Publié par Kehrer Verlag
19,90 euros / 25 dollars
ISBN 978-3-86828-698-4