Où sont les jeunes reporters ?
Dans la même semaine que l’un des plus importants hebdomadaires d’actualités américains, NEWSWEEK, annonce la fin de son édition papier, s’ouvre un nouveau festival dédié à la photographie et le photojournalisme à Saint-Brieuc. « Le Photojournalisme : Une Profession en Crise Profonde » est le titre de cette première année et les organisateurs disent vouloir œuvrer pour trouver des « réponses » à cette crise que nous, photoreporters, vivons déjà depuis une bonne quinzaine d’années. J’applaudis l’initiative de Didier Rapaud, Alexandre Solacolu, et l’Agglomération de Saint-Brieuc. Il semblerait qu’au fur et à mesure que la crise s’approfondie nous avons de plus en plus de manifestations photographiques !
Je suis un photoreporter de la génération où on trouvait un soutien économique essentiellement dans la presse, « l’époque dorée » selon certains. Certes, plus facile qu’aujourd’hui, mais croyez-moi, ce n’était jamais facile. En ’91, après la première Guerre du Golfe, j’ai compris que notre modèle économique n’était pas viable, que ce n’était qu’une question de temps avant que le système d’agence (magazine) ne s’effondre. Pressentiment peut-être un peu prématuré, mais j’ai décidé de m’informer sur mes droits et voir comment je pouvais me protéger, au mieux, quand viendrait le moment fatidique. J’ai commencé a assister aux réunions d’information organisée par l’ANJRPC*. J’ai été l’un des rares photographes d’agences à adhérer à cette association car les photographes d’agences n’étaient pas trop mal lotis. Nous étions les aristocrates de la profession, du moins, c’est comme ça que l’on se considérait, et nous n’avions pas besoin de nous mêler au commun des mortels ni de leurs préoccupations, disons, un peu trop syndicalistes. Il y a chez les photoreporters un sentiment de survie extrêmement développé et donc une vision darwinienne des choses : les plus forts survivront. Les syndicats et les associations, c’étaient pour les faibles, les moins bons. Nous ne mangions pas de ce pain là.
Il y a, en effet, une crise profonde dans notre profession aujourd’hui: les agences photo dites « magazine » ont quasiment disparues, la transition du papier au web a déstabilisé toute l’industrie de la presse et la population des photoreporters est extrêmement fragilisée, l’offensive sur les droits d’auteurs continue ainsi que la dégradation des conditions et les tarifs. Il n’y a plus de respect et, sauf dans les festivals, on a le sentiment d’être des pestiférés.
Il y a plusieurs mois, lors d’une cérémonie pour célébrer la mémoire de Remi Ochlik et Marie Colvin, tués en Syrie en faisant leur travail de photographe et reporter, la « jeune génération » était là, ils étaient très nombreux. Quelques jours après, Eric Bouvet, estimé photoreporter, a écrit un éloge émouvant, plein de passion et de colère, à propos de nos collègues et les conditions de plus en plus indignes dans lesquelles ils/nous travaillons. Il avait raison sauf, me demandais-je, où sont les jeunes photographes ? Pourquoi nous ne les voyons pas dans nos associations professionnelles ou dans les syndicats de journalistes ? On entend que la situation est pourrie mais on ne les voit pas agir. Que font-ils pour œuvrer pour que les conditions de sécurité sociale dont nous bénéficions ne soient pas dilapidées ; pour que les droits d’auteurs, tels que nous les connaissons, ne disparaissent ou que les nouvelles formes de diffusion et ventes des images ne nous appauvrissent pas ?
Je m’étonne de l’absence de mes collègues, jeunes et moins jeunes, quand il s’agit de la défense, organisée, de notre profession. Alors, on me répond que les photographes en France sont trop « individualistes ». J’ai envie de répondre qu’ils sont tellement individualistes qu’ils préfèrent se faire mettre tout seul dans un coin. ORGANISATION est le mot clef car sans organisation et sans travail collectif, on n’est rien. Je sais que ceci est un discours qui passe difficilement dans une profession où l’ego, par la nature du travail, est nécessairement surdimensionné.
Ces organisations existent, il y a plusieurs associations et syndicats de journalistes qui ouvrent pour défendre notre métier ; aucun n’est parfait, ils ont tous besoin de forces vives et nouvelles énergies. Je ne suis pas prosélyte, je ne ferai pas ici la promotion de l’une ou l’autre, bien que j’ai mon idée là-dessus. Simplement, je fais le constat que la jeune génération de photographes, et c’est eux les principaux concernés, est terriblement absente de nos efforts d’organiser une résistance à tous ceux qui cherchent à faire reculer, ou tout simplement éliminer nos droits. Je ne parle pas de signer des pétitions ou d’appuyer sur le bouton « Like » pour montrer notre soutien à telle ou telle cause, non, je parle d’engagement réelle de la personne et son argent (cotisations) car cette lutte demande de plus en plus de moyens (humains et financiers). Tout le monde aime la photographie, on fait des tables rondes et des observatoires, des festivals et les prix, mais à la fin de la journée, si nous ne faisons pas le travail nous même pour assurer la pérennité de notre profession, personne d’autre ne le fera. On a beau être des « photographes engagés » mais il semblerait que nous soyons incapables de nous engager pour nous défendre ainsi que ce métier que nous aimons !
*ANJRPC : Association Nationale des Journalistes Reporters et Cinéastes, fondée en 1962. Fusion en 2003 avec FreeLens pour devenir l’ANJRPC-FreeLens.
Thomas Haley, reporter photographe, membre du conseil d’administration de l’UPP.
Boulogne-Billancourt, le 20 octobre, 2012.