Le dernier numéro de Polka est dans les kiosques ! Pour cette rentrée, c’est le film Life d’Anton Corbjin qui est à l’honneur sur la couverture du magazine, avec un portrait de James Dean réalisé par Dennis Stock en 1955. A cette occasion,L’Oeil de la Photographie vous offre 20 exemplaires*. Au sommaire de cette nouvelle édition de nombreux sujets et reportages découpés en 3 chapîtres Polkaimage, Polkalemag et Polk’art avec un éditorial d’Alain Genestar sur Joseph Kessel, Envoyé spécial en Syrie qui sort un ouvrage aux éditions Gallimard.
Editorial
Nul pays n’est plus complexe, plus difficile, plus révolté par nature que la Syrie. » Il faut lire ou relire Kessel. Son carnet de voyage « En Syrie »*, quelques dizaines de pages écrites en 1926, est son premier reportage. Il dit tout d’un pays qui, près d’un siècle plus tard, reste marqué au fer par ses divisions, ses guerres internes, ses déplacements de population, ses vexations et souffrances à vivre sous le joug de puissances étrangères – dont la France – ou ses fiertés troublantes à collaborer avec ces mêmes puissances pour la seule gloire de victoires militaires. Ainsi était la Syrie sous mandat français – mandat bâclé par la France – au tournant du premier quart du XXe siècle : « Ce berceau des civilisations, ce lieu de passage prédestiné, dont la richesse et la beauté ont retenu, sans les mêler, tant de peuples, cette terre où poussent avec une force ardente les croyances et les hérésies, déroute et confond. » Ainsi est la Syrie aujourd’hui, une terre et non un pays, en aucun cas une nation, habitée par « tant de peuples », illusoirement dirigée par un dictateur qui est aussi, et ce n’est pas incompatible, un faible, incapable de faire face à une situation qui, depuis les premiers jours de la guerre civile, le dépasse et, désormais, le submerge. Lire Kessel et comprendre que tout, dans cette vaste partie du monde, nous invite à une prudence que le général de Gaulle, faisant pour une fois preuve d’humilité, avait inscrite dans ses « Mémoires de guerre » en une phrase célèbre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. » Si journalistes et photographes ne peuvent plus, sauf à risquer leur vie et leur liberté, voler vers la Syrie pour raconter et montrer ce qui s’y passe de terri fiant, qu’au moins les commentaires et les réactions, notamment des politiques, ne succombent pas à la facilité de rendre simples des choses si complexes. Une tentation d’autant plus grande que la mode est, de nos jours, à faire semblant de croire, face aux micros, que l’on sait tout et que l’on a réponse à tout, même quand il est question, comme ici en Syrie, de géopolitique experte, de connaissances savantes des cultures orientales et même de hautes stratégies militaires.
L’antidote à ce simplisme ambiant est la lecture éclairée. Si Bush avait lu Kessel, ou d’autres écritures sur l’Irak, il n’aurait pas déclenché une invasion, aussi irréfléchie que criminelle, qui a emporté dans la mort des dizaines de milliers de gens, et déstabilisé le Proche-Orient. Si Sarkozy avait lu Kessel, au lieu de Bernard-Henri Lévy, il n’aurait pas attaqué la Libye sans autre plan que d’abattre son sanguinaire et loufoque dictateur ; sans se soucier du sort d’un peuple qui a basculé dans une pire horreur ; sans anticiper les répercussions catastrophiques sur toute une partie de l’Afrique, jetée dans les griffes noires du terrorisme. Est-ce à dire qu’après la lecture du livre de Kessel il ne faudrait pas agir en Syrie contre Bachar El- Assad et en même temps – mais comment agir en même temps sur ces deux fronts ? – contre les forces sauvages de Daech ? Est-ce à dire qu’il ne faudrait pas réagir, après avoir vu les photos publiées dans les pages suivantes sur les enfants syriens qui n’arrivent plus à s’endormir tant ils ont connu l’horreur ? Est-ce à dire que lire Kessel appellerait à ne jamais intervenir ? Non. Ce que l’on comprend à la lecture de ce livre, c’est qu’aucun de nos schémas « occidentaux » n’est adapté à ces situations. Ce que l’on comprend, c’est qu’une armée « classique » ne peut, ne sait, se battre contre des gens habités par « une haine de race et de religion », animés par « ce goût d’imprévu, de danger, ce besoin de donner et de recevoir la mort ». Ce que l’on comprend surtout, ce que l’on devrait savoir à force d’erreurs, c’est qu’une guerre, comme celles de Bush ou de Sarkozy, ne ferait qu’empirer les choses, qu’installer plus profondément encore le terrorisme. Alors que faire ?… Lire et relire Kessel, car la culture est l’arme la plus forte contre les dictatures. Le lire et le relire pour maintenir l’attention sur une guerre si longue qu’elle risque de lasser l’opinion, d’autant plus qu’elle n’a plus d’images. Le lire et le relire, puis écouter les témoignages des réfugiés qui souffrent. Alors peut-être aurons-nous ce réflexe de civilisation qui consiste à bien les accueillir.
*Pour participer, il vous suffit d’envoyer un mail à [email protected]avec vos coordonnées postales. Les 20 premiers lecteurs à participer recevront Polka #31 à leur domicile.