L’Amérique fragmentée d’Alec Soth
Le photographe américain Alec Soth aime mettre en lumière l’oubli. Et par le passé, cela lui a bien souri. Déjà, dans Sleeping by the Mississippi (2002), il s’intéressait à l’isolement, aux âmes solitaires errant sur les bords de la mythique rivière ; puis dans Broken Manual (2010), en photographiant des ermites et des fugueurs rejetant les codes de la société. Pour son dernier livre, intitulé Songbook et récemment publié chez Mack, Alec Soth tente de réveiller une Amérique au « sens perdu de la communauté, dont les individus font face à une nouvelle forme d’isolement, à l’heure des nouvelles technologies et des réseaux sociaux ».
Né de la collaboration avec son ami écrivain Brad Zeller, Songbook, dont la couverture est magnifique, a été conçu au cours de voyages allant de l’État de New York au Colorado ou à la Silicon Valley. Ici et là, depuis 2012, tous deux ont assisté à des dizaines de réunions, de danses, de festivals et de rassemblements communautaires, à la recherche de n’importe quelle interaction humaine. Tout en prétendant être en commande pour un journal local intilué LBM Dispatch, et en réalité leur blog commun. Le résultat est drôle, un peu bizarre et souvent triste. Dans les images, on découvre surtout des personnages isolés, même lorsqu’ils sont en groupes. Des scènes qui n’en sont pas vraiment, tant la solitude prend le pas sur tout. Bien sûr, des jeunes dansent dans une boite de nuit, d’autres se moussent, des femmes forment un cercle en se tenant les mains, de nombreuses personnes posent ensemble. Mais ce n’est qu’une illusion, ces images là sont en minorité, elles laissent la parole à tous ces portraits de gens seuls, posés, ou marchant vers ce qui ressemble à la fin de quelque chose.
Ainsi, entièrement en noir et blanc, ces photographies sont teintées de mélancolie et d’un sentiment d’anxiété, presque avoué et voulu par le photographe, et même si celui ci émet un espoir. « Lorsqu’on évoque la culture contemporaine, dit-il, celle de Facebook entre autres, on a l’impression que ces organisations n’existent plus, mais, en fait, elles ne font que dormir. C’est inspirant de savoir que même si elle n’est pas florissante, ce type de culture existe toujours. » Bien que les photographies de Soth donnent aussi un aperçu du large éventail de communautés et de cultures de l’Amérique d’aujourd’hui, elles composent une série qui, en fin de compte, concerne d’avantage la communication d’une émotion. Songbook est alors une représentation lyrique de la tension entre l’individualisme américain et le désir d’être unis. Pour illustrer sa documentation, et parce qu’il a toujours revendiqué les liens étroits entre texte et photographies, de nombreuses phrases énigmatiques habillent les pages du livre. De petites histoires personnelles, des citations, des morceaux de vie. Avec en épilogue, cette phrase lourde de sens signée du dramaturge roumain Eugene Ionesco : « Toute l’histoire du monde a été gouvernée par les nostalgies et les angoisses, que l’action politique ne fait que réfléchir et interpréter très imparfaitement … c’est la condition humaine qui dirige la condition sociale, et non vice versa. »
Livre :
Songbook, d’Alec Soth
Chez Mack
144 pages
€50.00 £40.00 $60.00
ISBN 9781910164020
Exposition éponymes :
/ Chez Fraenkel Gallery, San Francisco
Jusqu’au 4 avril 2015
/ Chez Sean Kelly, New York
Jusqu’au 14 mars 2015