A l’occasion de la première monographie à Londres de la photographe Sud-Africaine Zanele Muholi, Autograph ABP présente à Londres une sélection de son nouveau projet intitulé Somnyama Ngonyama (la lionne noire). Celle qui se fit connaître mondialement par la série Faces and Phases, documentant la communauté LGBTQI noire d’Afrique du Sud, a récemment décidé d’investir l’archive photographique sous l’angle de l’autoportrait. L’activiste Zanele Muholi tourne la caméra sur elle-même. Le résultat est saisissant.
Noirceur. Sur la peau, les murs, deux épidermes et deux membranes. Cette série d’autoportraits s’étale dans l’espace et vous percute. Zanele Muholi est partout. Ses regards fixent l’objectif, défiants ou interrogateurs. Son visage est multiple. Augmentant le contraste des images en post-production, la couleur de sa peau est noircie davantage. Se jouent alors contrastes et lumières, entre les fonds abstraits des photographies et son buste en premier plan. Laissé à l’état de surface sombre, son corps se fait sculpture et se pare d’accessoires.
Voyageant aux quatre coins du monde, Zanele Muholi collectionne les objets trouvés sur les territoires étrangers. Mis en scène dans chaque autoportrait, les matériaux évoquent les douloureux épisodes de l’histoire sud-africaine et leurs problématiques contemporaines. Superposés au corps féminin noir, des gants en latex ravivent le lourd passé du travail domestique, des câbles électriques évoquent la violence et les tortures, les dérives de la pollution en Afrique du Sud sont quant à elles symbolisées par des cannettes et des sacs plastiques. Ensemble, ces différents éléments donnent lieu à une lecture plus globale : celle de l’histoire du corps de la femme Africaine et son rapport à l’Occident.
Victime d’un discours qui lui fut sans cesse imposé, la figure de la femme Africaine fut avant tout marquée et façonnée par la domination. Scruté, classé et objectivé, le corps de la femme noire vacilla entre érotisme et servitude. Ironique, Zanele Muholi à la fois ressuscite et réclame l’histoire de ce corps en superposant les genres du portrait. Se présentant de face et ornée d’accessoires, la photographe offre une lecture critique du regard ethnographique et de la photographie de mode. Photographié, son visage se fait document et métaphore. En parlant d’elle-même, Muholi parle également de toutes les autres.
Cette exposition s’accompagne d’autoportraits inédits de l’artiste : Bayephi, une série réalisée dans la prison Old Fort de Johannesburg et ZaKi, un projet questionnant l’hybridation possible de la femme noire et de l’Asie. Sans concession, Zanele Muholi joue des codes, entremêle fiction et réalité. Mélancolique, la photographe parle d’une histoire et d’un passé qui ne furent pas suffisamment ou mal documentés, tout en évoquant le poids du racisme actuel. Faisant de son corps le nouveau médium d’un projet politique, Somnyama Ngonyama est, selon l’activiste, « une reprise en main de sa noirceur ». La « lionne noire » ne vous laissera pas indemne.
Julie Bonzon
Julie Bonzon est doctorante en histoire de l’art au University College London (UCL), au Royaume-Uni.
Zanele Muholi: Somnyama Ngonyama, Hail the Dark Lioness
Du 14 juillet au 28 octobre 2017
Autograph ABP
Rivington Place
EC2A 3BA
Londres