Solange*, 57 ans, née en Algérie, aujourd’hui française mère de six enfants et prostituée depuis 25 ans.
Ces femmes de mauvaise vie, cela faisait un moment que je les regardais du coin de l’œil. Partagée entre la répulsion et l’interrogation. Un peu fascinée, aussi. Qui étaient-elles ? Que pensaient-elles ? Jusqu’au jour où j’ai décidé d’aller frapper aux vitres de leurs camions, garés près de l’une des portes périphériques de Paris. Je voulais en savoir plus.
Elles ont d’abord joué avec moi le même jeu qu’avec leurs clients. Séductrices et souriantes. Distantes, pourtant. Une seule d’entre elles, la plus âgée, Solange*, 57 ans, aura finalement accepté d’apparaître dans mon projet photographique. À une condition : que l’on ne puisse pas la reconnaître.
Cette série est une invitation à découvrir cette vie pas comme les autres. Sans fards, parfois crûment, Solange y parle de son travail et des clients, de sa famille, de ses enfants. Elle a accepté que je pose mon regard de photographe sur ce quotidien – le camion qu’elle rejoint tous les matins, l’appartement où elle vit avec ses proches. Voilà quelques images de sa vie. Celles qu’elle aura bien voulu partager avec moi – et avec vous, spectateurs.
* Le prénom a été modifié.
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« Avant, j’étais conne… »
« J’étais une femme battue, mon mari buvait à fond. J’ai commencé la prostitution pour avoir vite fait un appartement et pour garder mon fils. Avant, j’étais conne comme un balai. Maintenant, je sais dire non. Je suis une salope, mais je suis éveillée »
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« 20 euros la pipe »
« Je viens à six heures du matin avant les autres filles. Au moins, je pourrai faire quatre ou cinq clients avant qu’elles arrivent, après j’ai des difficultés. Elles sont plus mignonnes, plus jeunes. C’est 20 euros la pipe. Quand tu dis 30, ils se sauvent »
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« Je choisis mes clients »
« Il y a des clients qu’on fait pas, ils ont l’air suspects, je les refuse. Il y a trois ans, j’ai même été violée dans mon camion par un sadique. Les drogués, je ne les fais pas, quand ils m’énervent, je démarre. »
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« Regarde comme j’étais belle »
« On a des clients qui sont désespérés. On peut leur faire l’amour, quand ils n’arrivent pas à suivre, on leur donne ça [désignant une revue pornographie] : ”regarde comment j’étais jeune, j’aimais le sexe…” Ils oublient un peu. »
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« Tout est propre »
« J’ai une bassine. Je me lave avec du liquide intime et je me rince bien avec une bouteille d’eau dans la bassine. Après, je jette tout sous mon camion et ça sent bon. Parfois, je pisse dans ma poubelle, je ramasse tout et je jette là-bas dans la grande poubelle. Et tout est propre. Le client est content. »
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« Sa femme est magnifique »
« Quand j’arrive ici, je me maquille, je mets ma perruque. J’ai un client sa femme est magnifique. À côté, je parais pour sa femme de ménage, et encore… Ils viennent faire des fellations avec nous parce que parfois, ce qu’ils font avec nous, ils ne le font pas avec leur femme. »
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« Je remplis le frigidaire »
« J’aime mon travail parce que je sais que sans mon travail, je ne suis rien. Je dois payer le chauffeur, l’essence du camion, de la voiture… J’espère que demain je vais faire 100-150 euros. Comme ça, je remplis le frigidaire. Si je ne travaille pas une journée, je ne mange pas. Si la prostitution s’arrête, on sera très malheureuses. »
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« Ma sœur… mon fils… ma fille… »
« Ma sœur, le jour où elle a été au courant, elle a eu un an de dépression. Mon fils, quand il l’a su, il s’est pissé dessus pendant une semaine. Maintenant, il a toujours ses yeux dans le vide, parfois il a de la peine pour moi et il me masse les pieds. Ma fille, elle l’a su à 18 ans, elle était choquée. Je l’ai amenée ici, elle avait peur de monter dans le camion. Là, elle est un peu perturbée. »
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« Chez moi, j’oublie tout »
« Je commence à rire, je joue avec les enfants, j’oublie complètement ce que j’ai fait. Je laisse tout ici, dans le camion. »
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« Mon équilibre »
« Mon équilibre ? C’est toujours mes enfants. Quand mon frigidaire est plein. Quand mes dettes sont payées. »
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« J’ai quelqu’un… »
« J’ai quelqu’un avec qui je mange de temps en temps. Je le fais rire, il me fait rire. Il aime bien se travestir en femme sans se prostituer. Parfois, on va dans un café de lesbiennes : il y a des prostituées qui viennent, des homos, des travestis, on parle de tout. Je bois deux trois verres, tu te défoules. Ce que tu ne veux pas sortir, tu le sors et ça fait rire tout le monde. Ça part comme ça, tout seul. »
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« Je ne les aime pas »
« Je ne les crois pas [les hommes] quand ils me disent : «je t’aime », ils me dégoûtent. Les hommes, je ne les aime pas. J’ai mal. Est-ce que je vais rester tout le temps dans la prostitution ? Est-ce que je ne trouve pas une autre belle vie ?»
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« Je vieillis »
« Je commence à prendre de l’âge, je vois que je vieillis maintenant. Je suis trop vielle pour travailler. »
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« Encore deux ans »
« Moi, l’avenir… comme j’ai le permis je m’en sers. Prostituée encore deux ans et après je vais conduire les camions. [Ce qu’il faut me souhaiter ?] Que je trouve un homme célibataire qui est vieux comme moi, que j’apprenne à aimer. Je trouverai quelqu’un avec qui discuter, car après, quand tu as 70-80 ans, personne ne veut t’écouter, tu deviens un fardeau. »