Il y a généralement dans la documentation de lieux ou de populations une forme d’intemporalité. Sans doute car le sujet réside simplement dans l’illustration de leur condition ou existence, sans contrainte de durée ou de date butoir. Les images de Sirkka-Liisa Konttinen, photographe d’origine finlandaise, nous emmènent dans un quartier populaire anglais, Byker, dans l’est de Newcastle. Réalisées dans les années 70, lorsqu’elle même y habitait, elles informent sur l’état de ce canton industriel juste avant sa décomposition due au redéveloppement urbain. Y est à entrevoir une certaine simplicité de vie que certaines photographies affichent clairement mais que d’autres, subtilement, suggèrent par des regards, des moments volés, des portraits poignants d’authenticité.
Ce monde est, à l’époque, semblable à des dizaines d’autres à travers le pays. Il est fait de grandes bâtisses en brique rouge, de fabriques, de petits logements collés les uns aux autres, de terrains vagues, où se glissent les instants de vie des hommes, femmes et enfants qui y demeurent. Ce sont principalement des populations locales, au contraire de Sirkka-Liisa Konttinen ; des familles d’ouvriers travaillant dans les industries du charbon et de la construction navale. Au travers de son regard se dévoilent les leurs, immortalités avec empathie et curiosité, dans les terrains vagues, ces sortes de champs de bataille d’usines, dans les salons aux papiers peints surannés, les chambres à coucher, les salles à manger, les coins de rue.
Malgré la grisaille, au sens propre comme au figuré, on y distingue rires et vivacité, entraide et affection, comme presque souvent dans ces quartiers populaires du nord de l’Angleterre. Preuve d’une certaine bienveillance, Sirkka-Liisa Konttinen a notamment tiré les portraits de nombreuses personnes âgées, ravivant au travers de son objectif plaisanteries, camaraderie et jeunesse. Dans certaines images, ce sont les moments de joie ou d’humour qui surprennent, comme au milieu de cette rue où des enfants paraissent jouer avec la photographe. Ou dans cette autre scène où une jeune femme s’amuse sur un ballon sauteur – la plus célèbre photographie de la Finlandaise, réalisée de dos et pouvant laisser stupéfait. D’autres, elles, se distinguent par l’histoire qui les lie : en s’intéressant à cette fille jouant d’un vétuste piano, la photographe entend un bruit à l’extérieur, se précipite à la fenêtre et immortalise un homme en train de se lamenter face à la destruction du quartier.
Ces dernières années, Sirkka-Liisa Konttinen est retourné à Byker pour y retrouver et photographier ses sujets d’alors ou bien leurs enfants et cousins. Les deux projets ont donné lieu à deux livres, chacun publié en son temps, les deux en étroite collaboration avec le Collectif Amber (établi à Newcastle), qu’elle a à l’époque contribué à fonder, et qui depuis 2011 s’est vu inscrire son travail documentaire au patrimoine de l’Unesco. Il est d’ailleurs étonnant d’observer la différence de style entre les deux séries, chacune caractérisée par leur époque et tout ce qui les y lie : décor, confort, technologie et vision de la photographe. Probablement que dans quelques années, la seconde deviendra, elle aussi, autant intemporelle que la première.
Jonas Cuénin
Sirkka-Liisa Konttinen, Byker
Jusqu’au 11 mai 2013
L. Parker Stephenson Photographs
764 Madison Ave
New York, NY 10065
USA