Né en 1978, le photojournaliste Edwin Koo a couvert pendant cinq ans l’actualité pour un jeune journal de Singapour. En 2008, il s’installe en tant que free-lance au Népal, où une monarchie bicentenaire vient de laisser la place à un gouvernement maoïste. Son intérêt pour les populations déplacées l’a entraîné à la rencontre des exilés tibétains, qui sont aujourd’hui vingt mille au Népal.
« Il s’est écoulé plus d’un demi-siècle depuis le 10 mars 1959, qui a vu l’armée chinoise envahir le Tibet et contraindre le dalaï-lama à l’exil. Dans les années qui ont suivi, quatre-vingt mille de ses compatriotes ont fui les persécutions. Quelque cent quarante mille Tibétains vivent à présent aux quatre coins du monde. Certains, pensant leur exil temporaire, se sont installés au Népal voisin. J’ai commencé à m’intéresser à eux lors du cinquantième anniversaire du soulèvement où un rassemblement devant l’ambassade de Chine à Katmandou fut sévèrement réprimé par la police. Le calme revenu, je me suis demandé ce qui pouvait lier la jeune génération de Tibétains à leur phayul, leur “mère patrie”, où ils n’avaient jamais mis les pieds. Que signifiait cette croisade obstinée pour le Tibet libre ? Après tout, le Tibet d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui qu’ont fui les anciens il y a cinquante ans. À Lhassa, désormais ville touristique, résident plus de Chinois de l’ethnie han que de Tibétains. Un drapeau chinois flotte devant le palais du Potala. Les Tibétains de l’étranger ont recréé des communautés actives et peuvent vénérer leur chef spirituel sans risque.
Au Tibet, posséder une photo du dalaï-lama est passible de prison. La réponse tient en un mot : la lutte. Le Tibet en tant qu’idéal est très vivace dans le cœur des gens que j’ai photographiés. Issu de trois générations de Chinois han établis à Singapour, c’est là que j’ai grandi, là qu’est ma maison, pas en Chine. Mais en observant les Tibétains reconstruire leur pays sur une terre étrangère, j’ai perçu l’autre sens du mot “maison”. Singapour est-elle vraiment ma “mère patrie” ? Après deux ans passés au Népal, je n’en suis plus tout à fait sûr. »
Françoise Huguier, commissaire
Texte extrait du livre-catalogue « Photoquai » coédition Musée du Quai Branly- Actes-Sud