Harry Shunk et János Kender se rencontrent à Paris en 1957 et s’associent rapidement, travaillant sur commande pour les artistes et leurs galeristes. Le duo immortalise les évènements artistiques parisiens tels que les vernissages et les performances mais aussi les artistes au travail, dans leur atelier ou à leur domicile. Shunk et Kender développent en effet une étonnante proximité avec les artistes qu’ils côtoient, comme en témoignent tout au long de l’exposition les portraits d’Yves Klein, Jean Tinguely, Andy Warhol, Robert Rauschenberg qui les acceptent au plus près, dans leurs ateliers mais aussi partout où l’oeuvre naît et vit.
Très vite le duo devient proche de Pierre Restany et des Nouveaux réalistes, et se lie d’amitié avec Yves Klein. De cette relation naîtront des milliers de clichés : Klein et ses peintures de feu, Klein et les anthropométries, Klein dans la sphère privée… mais surtout, le célèbre photomontage du Saut dans le vide (1960) dont plusieurs éléments préparatoires sont ici présentés.
Harry Shunk et János Kender capturent aussi en image les séances de tir de Niki de Saint-Phalle, les dîners de Daniel Spoerri et les récupérations d’objets de Jean Tinguely ou Arman.
Les arrachages d’affiches de Jacques Villeglé ou Raymond Hains et les premiers jours d’Andy Warhol à Paris passent également par leur objectif, produisant ainsi des témoignages photographiques de moments rares.
Présents aux soirées, aux vernissages des Biennales de Venise ou de Paris, comme à ceux organisés par les galeries d’Ileana Sonnabend ou d’Iris Clert, c’est aussi tout un milieu social que les photographies de Shunk et Kender offrent à voir. À cette période, les galeristes construisent des identités d’artistes qui prennent une nouvelle place dans l’espace public, à laquelle les photographies du duo donnent de la visibilité et du crédit.
En 1967, Shunk et Kender suivent Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely à Montréal, avant de s’installer à New York où ils sont hébergés par Claes Oldenburg, rencontré à Paris lors de sa première exposition à la galerie Sonnabend en 1964. Ils fréquentent alors les milieux artistiques américains, travaillent pour la presse alternative de l’époque, telle que Other scenes, et documentent les grandes expositions pionnières de leur époque comme Software au Jewish Museum de New York (1970). Le duo photographie aussi les performances de Yayoi Kusama et Nam June Paik, les chorégraphies de Trisha Brown et Merce Cunningham ou encore les empaquetages de Christo et Jeanne-Claude.
Enfin, à une période où les artistes investissent les lieux industriels désaffectés pour vivre et travailler en commun, croisant les arts et multipliant les expériences artistiques, Willoughby Sharp (1936 – 2008), co-fondateur du magazine Avalanche, se tourne vers Shunk et Kender pour capter l’un de ses projets, Projects : Pier 18. Sur l’un des quais abandonnés de New-York, 27 artistes invités par Willoughby Sharp réalisent performances et installations durant l’hiver 1970-1971. Projects : Pier 18 est présenté au MOMA durant l’été 1971. Les photographies de Shunk et Kender y témoignent des oeuvres créées par John Baldessari, Dan Graham, Gordon Matta Clark, Vito Acconci, Lawrence Wiener, Mario Merz, Daniel Buren…
À Paris comme à New-York, les images produites par Shunk et Kender donnent à voir un contexte artistique foisonnant. De part et d’autre de l’Atlantique, les photographies du duo contribuent à la construction de la figure de l’artiste photographié et participent de la diffusion d’oeuvres éphémères. Cette exposition permet de retrouver l’esprit d’une époque : une génération préoccupée par la libération des corps et du geste artistique, toujours à l’affût de nouveaux espaces alternatifs de création et de diffusion, dans le sillage d’un duo au regard attentif et complice.
Les photographies du duo sont acquises en 2008 par la Fondation Roy Lichtenstein.
En 2014, la Fondation Roy Lichtenstein en fait un don partagé entre le Centre Pompidou et plusieurs autres grandes institutions : le Getty Research Institute (Los Angeles), le Museum of Modern Art (New-York), la National Gallery of Art (Washington D.C.), et la Tate Modern (Londres).
Shunk-Kender – L’art sous l’objectif, 1957-1983
27 mars – 5 août 2019
Galerie de Photographies
Centre Georges Pompidou
75004 Paris
Shunk-Kender : L’art sous l’objectif (1957-1983)
Éditions Xavier Barral, 49€
Textes
Jack Cowart, Fondation Roy Lichtenstein
Glenn R. Phillips, Getty Research Institute
et du Centre Pompidou :
Didier Schulmann
Florian Ebner
Chloé Goualc’h et Stéphanie Rivoire
Julie Jones
Marcella Lista