Elle s’appelle Séverine Sajous. Elle nous a envoyé un très touchant reportage. Le voici !
Niché entre les très chic Galeries Lafayette et l’Opéra Garnier, en plein cœur du cossu 9e arrondissement de Paris, un ancien hôtel de luxe cinq étoiles (le W), qui n’a jamais rouvert depuis le premier confinement, a été transformé de façon temporaire jusqu’en juillet 2022 en un centre d’accueil d’urgence pour 82 femmes et 63 enfants en exil. Plus qu’un centre d’hébergement d’urgence, le centre « L » se veut être un espace de répit. Comme une bulle hors du temps pour permettre aux femmes de souffler, quelques mois durant.
Et dans cette lente reconstruction, le confort a son importance. Les chambres, pour majorité individuelles, sont spacieuses, lumineuses, et équipées de lits king size moelleux – l’un des vestiges laissés par feu l’hôtel de luxe-.
“Une chambre avec vue” documente d’une part ce projet qui a vu le jour dans le sillage de la crise sanitaire, et celle du tourisme.
Durant la crise du covid-19, de nombreux hôtels ont été reconvertis en centres d’accueil d’urgence pour les sans-abris, pour une durée déterminée. Se pose alors la question de l’après. Quelles solutions sont proposées à toutes ces personnes temporairement hébergées? Quelle est la réalité de ce monde de l’urgence sociale et celle de ces résidents venus de tous horizons, “trimbalés” au gré des ouvertures et fermeture des centres d’hébergement?
Le Centre d’action social protestant (CASP) avec qui je collabore régulièrement en tant que photographe a ouvert 145 places cet ancien hôtel de luxe le temps d’une année avant que les propriétaires ne le transforment en bureaux. C’est ainsi que l’hôtel W, rebaptisé hôtel L avec ses lits King Size, sa décoration rococo, ses spacieuses chambres et ses couloirs feutrés devient un théâtre de sororité pour ces femmes et enfants venus d’ailleurs.
Durant cette année de répis, je partage l’intimité de ce lieux et des existences qui l’habitent. La féminité transpire des hauts plafonds et des moulures haussmanniennes. Ici on a le droit de rêver, de se sentir bien mais aussi de se sentir belle malgré les multiples traumatismes subis: mariage forcé, excision, esclavagisme moderne. Ici on se réconcilie avec sa propre image, avec sa féminité.
Après cette parenthèse de vie douce et confortable, c’est avec anxiété que ces femmes et enfants appréhendent l’inconnue du futur proche, tout en gardant l’espoir des lendemains qui chantent.
Que deviendront-elles ? Où va-t-on les “orienter”? Vers quelle zone géographique ? À quel type d’accueil auront-elles droit? Il est difficile de se projeter lorsqu’on se découvre en France sur du haut standing.
Il faudra à nouveau se mettre à nue, se raconter auprès d’un nouveau travailleur social, inscrire ses enfants dans une nouvelle école, tisser de nouveaux liens.
Se pose alors le problème du parcours sans cesse fracturé de l’accompagnement social de l’urgence, de l’impossible ancrage sur un territoire. Sans ambitieuses politiques publiques, qu’adviendra-t-il de ces nombreux hôtels transformés en centres d’hébergement d’urgence durant la crise sanitaire? Et surtout leurs résidents provisoires vont-ils accéder à un logement et pouvoir s’insérer ?Sur quelle vue donneront leurs chambres? Un HLM, un CHU, une rue?
Une chambre avec vue se travaille sur deux temps:
- Focus sur la reconstruction et le bien-être au cœur du processus vital de ces femmes et de ces enfants. Des portraits sophistiqués,élégants et inédits seront réalisés en concertation créative avec les sujets, un air de photographie de mode qui révèle l’invisible. Dans ce décor de luxe, la dichotomie Migrants, Touristes, Expat s’efface. Ces femmes et enfants sont dignement représentés, la force visuelle des portraits révèle leur résilience.
- Dans leurs chambres, des photos d’archives, vestiges de leurs passés et des post-it de petits mots en français sont collées aux murs. J’ai accès à la chambre témoin / témoignage 219 pour y monter une installation visuelle en collaboration avec les résidents.es et les travailleurs sociaux. Un photo-videomaton avec un drap blanc plissé sous forme de background est monté en guise d’au revoir à ces murs.
Un collage de photographies prend forme pour laisser une empreinte et une réflexion ouverte à ces nouveaux occupants. L’hôtel sera détruit pour être transformé en bureaux par la société Assembly.
Cette installation artistique photographique et sa propre destruction symbolisent tant la précarité de ces vies, que celle du travail social.
Je tiens à remercier toutes les personnes pour leur générosité, leur confiance, leur soutien dans ce projet qui est le nôtre.
Séverine Sajous