C’est impuissante que je regarde le monde qui s’écroule autour de moi. Moi, qui ai photographié l’enfance pleine de promesses, je n’y arrive plus. La photographe ne saurait-elle plus voir où la terre va germer, où s’enfouit la semence ? Ce que je vois, c’est la disparition des insectes, celle des oiseaux. Ce que je vois, ce sont les absences, celle des animaux sauvages à la surface, comme des vers en dessous.Le monde vivant s’efface, les températures augmentent, les ponts s’écroulent et rien de ce que nous pouvons faire, rien de ce que nous devons faire, ne se passe. Comme si de rien n’était. Presque dans le silence, l’hécatombe se poursuit sans relâche. Nous ne voyons pas tous les cadavres, c’est diffus, progressif. A cette mort invisible ou presque, nous fermons les yeux : « on n’a pas le temps, nous sommes fatigués, nous verrons plus tard ».
Et pourtant, dans le spectacle même de cette mort du vivant, la nature n’est pas avare de beauté. L’œil grand ouvert, je vois la chute qui s’avance alors que l’orchestre continue de jouer. Comme si de rien n’était.
Je voudrais pouvoir arrêter cette musique du quotidien, arrêter ce qui nous étourdit et nous empêche d’agir, arrêter ce système qui nous prépare à la mort. Je regarde encore la douceur des nuages, de la lumière ou de la brune… Les ciels sont là et le soleil se lève. Il y a l’herbe, les pâturages, l’activité des bêtes et des hommes. Et partout cette fêlure ! Je sais que demain, ça sera notre tour et ça sera violent
Mon far-west est une série de photos, prises pendant l’été 2018, à moins d’un kilomètre de ma maison en Normandie. Car il n’est pas besoin de partir loin, à coups d’avions mortifères, pour voir ici les ruines du vivant.