Hier, je vous ai fait découvrir une petite facette de ce personnage (d)étonnant : le photographe Serge Assier. Pour ce deuxième volet, je vous fais découvrir ce qu’il appelle sa vie de fait-divertiste. Vous l’avez compris, nous entrons dans son monde de reporter photographe.
Notre Rouletabille photographe, très marseillais, semble certainement un personnage que l’on suppose très imaginaire. Pourtant, vous pouvez lui serrer la main, sauf que cela va prendre une petite demi-heure tant la faconde de ce saisisseur de l’instant est inépuisable.
Comme je l’ai évoqué précédemment, pour cette fonction, il est indispensable d’être présent au bon endroit (pas à cinq mètres) à l’instant précis (pas trois minutes après). C’est un ensemble de réseaux d’informateurs, tant officiels qu’officieux, voire hors les clous, qu’il faut entretenir. C’est une vie qui ne connait ni les nuits, ni les jours. Ce sont des moyens de locomotions toujours rapides et non contraignants. C’est un laboratoire photographique opérationnel et parfaitement équipé, en permanence. C’est la confiance totale de la chaine hiérarchique dans les rédactions de journaux. Voilà pour les contraintes matérielles du quotidien.
Mais, c’est oublier les contraintes psychologiques bien plus oppressantes et redondantes. C’est le cadavre d’un juge exécuté de sang-froid qui vient juste de s’affaler sur le bitume. C’est un élu, bien en vue, abattu dans sa voiture. Ce sont les corps démantelés et éparpillés des passagers d’un crash aérien. Ce sont les flammes qui envahissent l’autoroute. C’est la mort d’un ami intrépide en direct. Toutes ces images arrivent figées sous nos yeux ; mais, elles pénètrent encore actives dans l’esprit du photographe.
Serge est l’un de ces correspondants de guerre de nos vies quotidiennes. Après, cinquante ans de confrontations presque quotidiennes, il en sort quasiment indemne, là où beaucoup ont jeté l’éponge, avant leur mise KO pour la vie.
Etre toujours prêt, tenir le choc, c’est très bien ; mais, ce n’est pas tout ! Il faut aussi savoir faire des photographies (de A à Z) ; et en sus, il faut être doué. C’est le cas de Serge. Regardez bien ses images, L’instant de la prise vue est parfait, ni trop tôt, ni trop tard, il anticipe cet instant unique pour que ses images nous racontent, pour qu’elles titillent notre imagination. La composition est toujours remarquable, elle nous permet de nous attarder sur l’insoutenable pour nous amener à quelques instants de réflexion. La lumière est happée par la pellicule à sa bonne densité pour mettre en relief les faits ou mettre en sourdine un voyeurisme qui serait déplacé. Le contraste est dosé pour nous interpeler, sans surjouer sur l’émotion. Serge avec son instinct et ses automatismes professionnels reste toujours dans le monde de l’information, du portage de l’information, de la neutralité de l’information.
Cette course permanente pour éclairer les autres, qui était une vocation et un honneur hier, peut nous paraitre désuète aujourd’hui. Notre époque fait circuler (à la vitesse de la lumière) tout et n’importe quoi, n’importe comment, sans aucune maitrise, aucune considération et aucun respect. La machine, soi-disant salvatrice, grignote le cerveau des hommes.
Le photographe faisait la une du journal pour nous embarquer dans la lecture de l’article signé en caractère gras par un journaliste. Son image devenue essentielle indiquait le nom de l’auteur, en très petits caractères. Les créateurs d’images pour les journaux, même très talentueux, sont restés dans l’ombre, ils y perdurent encore pour nombre d’entre eux. Ils ont pourtant fixé, comme Serge Assier, des pans entiers de l’histoire du vingtième siècle, avant de s’effacer très discrètement.
Thierry Maindrault