Je voudrais terminer cette trilogie d’articles consacrés à Serge Assier, par sa facette créatrice qui est incontournable dans son parcours photographique. Derrière le photographe méticuleux qui courrait après le scoop pour le Provençal, quotidien de la Provence, et pour Gamma, son agence de presse, il y a aussi un créateur. D’un côté, les faits divers, parfois à la limite du sordide sur le terrain. De l’autre, les amis fidèles qui partagent son goût certain de l’évasion pour un ailleurs spirituel.
C’est ainsi que le jeune photographe a su partager l’amitié de René Char (le pape des poètes de l’après-guerre), puis celle du turbulent Fernando Arrabal. Ses rencontres avec Michel Butor, Edmonde Charles Roux, Bernard Noël, Dominique Sampiero et bien d’autres, ont toutes participé à son assise culturelle et son enracinement créatif.
Ce reporter aux pieds qui butent, sa vie durant, sur nombre d’abominations qui nous entourent. Ce parleur jovial au verbe cru et trivial dans sa tradition provençale que mâtine l’accent marseillais. Ce photographe aux gestes précis qui s’imposent sans faille. C’est cet homme-là, outrancier et provocateur, qui s’efface derrière « … l’autre côté du miroir … ».
L’inspiration est permanente, au cours de ses découvertes étrangères, lors de ses défis surréalistes, dans ses projets d’émois.
Très loin d’être ignare dans le maniement d’une plume encrée, il préfère asseoir ses créations importantes avec ses boites obscures pour piéger cette lumière qu’il fréquente depuis toujours.
C’est à l’improviste qu’il piègera telle ou telle scène que la lumière dévoile uniquement pour lui. La beauté d’âme, la courbe d’un objet, le risque d’une vie, la versatilité de la nature, la beauté du travail ou l’imprévisibilité des hommes seront glanés au gré de ses divers déplacements.
Ses luttes contre l’imprévisible, couplées à la douleur de la conception, l’ont amené à défier ses amis poètes contemporains reconnus. Ces derniers se sont prêtés à ces parties, techniquement improbables. La réalisation de poèmes parallèles, l’écrivain sur un rail, le photographe sur l’autre. Deux constructions créatives, dont l’une n’était ni l’explication, ni l’illustration de l’autre. Deux expressions sous-astreintes, ce qui demeure un summum pour l’imaginaire.
Les partages d’émotions restent un fil tenu pour Serge. Comment exposer à tous son ressenti. Ses images, avec une implication personnelle, tournées vers l’esthétisme, restent bloquées entre son instinct de la liberté (dont l’extravagance reste son vecteur préféré) et les canons établis depuis des générations, dont il connait l’efficacité impérative. Et puis, il se joue, avec le propre de tous les créateurs authentiques, de savoir quand il est stupide d’appuyer sur le déclencheur tant l’image intime est belle.
La Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie vient de décider de la prise en charge du fonds photographique de Serge Assier. Nous ne pouvons que nous en réjouir tant les milliers de clichés concernés représentent plus d’un demi-siècle d’Histoire, mis en boite comme la mémoire d’une société en pleine mutation.
Manifestement, Serge n’est pas qu’un excellent manipulateur de techniques photographiques. C’est bien de le faire savoir hors le petit microcosme de la photographie. Cela parviendra peut-être jusqu’aux oreilles des nouvelles élites faiseuses de « photographes ».
Thierry Maindrault