Chaque photo de cette série, commencée il y a plus de quinze ans, est née d’une démarche purement intellectuelle et non plasticienne. Démarche intellectuelle, j’entends par là la synthèse des coups de gueule avinés au sortir des revues de presse de comptoir, ou des délires velléitaires d’une bande de réalistes abstraits rendant virtuellement justice autour d’un plat de spaghettis enfumés.
C’est de ce bon terreau que germera l’idée, engraissée au fumier d’une actualité visuelle endémique qui infecte nos foyers à la vitesse de l’éclair, à travers les champs de paraboles. 24 heures sur 24 ça grouille dans le câble, plus vite, plus souvent, plus près, trop tard. On a formaté nos esprits pour encaisser avec la même émotion, les images d’une famine en Afrique et celles d’un rallye raid traversant ce continent avec ses caravanes de dollars. On mange pendant des heures les images d’une marée de larves tricolores remontant les Champs, fédérés par la victoire de leurs champions ; ailleurs, un gamin saute sur une mine dans un champs en courant après son ballon…
Poussée par le profit, le marché, le pouvoir, la désinformation télévisuelle a totalement uniformisé nos envies à des fins mercantiles et surtout nos émotions à des fins politiques.
Mais on pouvait éteindre le poste, faire taire PPDA et prendre le temps de rendre notre cerveau disponible à s’ouvrir sur la réalité du monde. Pas celle des vendeurs de sodas et leurs iconographies acidulées mais la réalité vibrante, souvent en noir et blanc, que nous rapportaient les McCullin, Burnett, Greene, Poveda… à travers leurs témoignages photographiques dont la force des images ne pouvait que sublimer la simple émotion.
Maintenant, il y a des milliards d’ordinateurs qui ronronnent au salon dans les cartables au fond des poches : je myspace, tu blog, il twite, nous facebookons,vous youtubez ils nous enfument. Ces nouvelles technologies de télécommunications ont dans certains cas fait naître l’espoir d’une plus grande liberté d’expression mais sont devenues aussi de dangereux outils de répression. Elles ont certainement perverti notre approche de l’information par l’instantanéité incontrôlable de la diffusion de celle-ci; d’un clic de portable une image en chassera une autre, éphémère virtualité de témoignages photographiques sans analyse, sans âme et sans humanité.
Bruno Pilia, (Allez les vers !, extrait)