Sarah Pickering, artiste anglaise qui poursuit une recherche sur la notion de véracité et de vraisemblance en photographie sans jamais recourir a la retouche, présente cette semaine son projet sur le faux, « Art et Antiquités ».
« L’un des commissaires du département de photographie du Victoria & Albert Museum m’a contactée pour me dire que je serais sûrement intéressée par l’exposition organisée au musée par la Metropolitan Police. C’était une exposition pédagogique qui réunissait toutes sortes d’évidences de faux recueillies par la police. Un espace était consacré à Shaun Greenhalgh. C’était une affaire récente et sensationnelle parce qu’il avait exercé pendant 19 ans sans se faire arrêter. Il ne faisait l’objet d’aucune enquête donc il continuait et devenait de plus en plus ambitieux, et de plus en plus indigné par le marché de l’art.
Dans cette partie de l’exposition, les commissaires et la police avaient tenté de reproduire l’atelier du faussaire. J’ai également vu plus tard une vidéo enregistrée par la police lorsqu’ils ont perquisitionné son hangar. L’endroit débordait de détritus et de projets en cours de fabrication. Quand j’ai regardé les autres preuves ainsi que les outils et les faux, il y avait de nombreux objets comme des chèques, des lettres d’experts, des catalogues de ventes utilisés comme preuve de provenance, ainsi que de nombreuses photographies que Greenhalgh transmettait aux musées pour évaluer les oeuvres. Parmi ces photographies, il y avait quatre ou cinq versions de la Princesse d’Armana, dont la tête n’était pas correctement faite. La version qu’il a finalement vendu n’avait pas de tête, il l’a coupée parce qu’il n’arrivait pas a obtenir un résultat satisfaisant. Il y avait un tas entier de ces photographies et je voulais vraiment travailler à partir de là. J’ai donc négocié avec la police, qui ne m’a pas laissé utiliser les négatifs. J’ai donc décidé de présenter cette galerie de faux photographiés par leur auteur et numérisés par moi. Je voulais faire mes propres faux. Les pièces étaient présentées sur des étagères dans les archives de la police et j’ai commencé a les photographier dans un style inspiré de Fox Talbot. Talbot était un egyptologiste, il pouvait lire le cunéiforme. Quand il a avancé dans ses recherches sur la photographie, il a laissé cet intérêt de côté pour se concentrer sur la réalisation d’un livre sur l’Ancienne Egypte. S’il avait été vivant, il aurait été en mesure de lire la faute d’orthographe sur la tablette que Greenhalgh a tenté de vendre au British Museum et qui a causé son arrestation. Il y avait donc une sorte de lien ici. De même qu’avec Roger Fenton, qui a photographié la collection du British Museum sur papier salé. Il y avait donc une sorte de précédent, car ces objets, s’ils avaient été fabriqués à cette époque, auraient pu être photographié par Fenton ou Talbot. J’ai ensuite fait don de mon tirage sur papier salé intitulé « Egyptian Princess, Museum Collection. Salted Paper Print circa 1852-60. Unknown Photographer »
au V&A Museum, qui me l’a ensuite prêté pour l’exposition. Je pouvais donc dire que cette pièce faisait partie de la collection du musée alors que c’était en fait un faux.
Je voulais aussi jouer sur l’idée de ce qui est inventé et ce qui est original. Donc quand j’ai photographié, j’ai emprunté un abri et reproduit celui qui avait été installé au V&A Museum. Il y avait donc une sorte de glissement : j’ai recréé un scénario mis en scène par le musée, et aucun d’eux n’était authentique. Cela contribuait a multiplier les niveaux d’éloignement de l’original et rendait compte de la difficulté à cerner la réalité. Pour moi, l’investigation et l’archive sont intrinsèquement liées a la photographie. Cela rejoint l’idée que la photographie est un médium véridique. Il y a un lien entre la photographie et la notion d’authenticité comme il y a un lien entre la notion d’original et de reproduction.
Au cours de mes recherches sur Shaun Greenhalgh, j’ai découvert un programme télévisé qui lui avait été consacré. J’ai par chance réussi à contacter le producteur et l’accessoiriste avait toujours les différentes pièces qu’il avait fabriquées à cette occasion. Il a accepté de mes les prêter pour l’exposition et j’ai pu les présenter aux côtés des photographies que j’avais faite dans les archives du département de police. J’ai aussi installé six livres sur le Faune de Gauguin. Le livre est toujours disponible sur le marché. Le Faune est en fait un faux fabriqué de toute pièce par Greenhalgh et qui est pourtant maintenant irrémédiablement associé à l’histoire du peintre. C’était intéressant d’étendre ma pratique en dépassant le fait de travailler avec la photographie en travaillant avec des photographies publiées sans que j’ai besoin de le reproduire. J’ai aussi réalisé des tirages argentiques qui ressemblent à des vues d’installation mais qui sont en réalité des travaux photographiques. Je voulais compliquer la façon dont une photographie est regardée, principalement en réponse à la notion de droit d’auteur, et étudier certains modes d’existence de la photographie.
Il y a de nombreux parallèles entre l’aura d’une oeuvre et l’aura d’un artiste. Par exemple, Channel 4 a réalisé un long documentaire télévisé sur Gauguin dans lequel Waldemar Januszczak, un critique influent, parle du Faune, dont on ne sait pas encore qu’il s’agit d’un faux. La pièce était exposée au Art Institute de Chicago et il était très enthousiaste, expliquant en quoi il s’agit d’une oeuvre majeure dans la carrière de Gauguin parce qu’elle reflète sa sexualité, ses angoisses et ses impulsions créatives. Il y a donc tout ces éléments et cet investissement qui se superposent à l’artiste par une intervention extérieure. Cela me fascine parce que quand le mythe s’écroule et que l’on réalise que c’est un faux, que reste-t-il de ces mots ? J’imagine qu’ils sont destinés au faussaire, mais un faux n’existe jamais vraiment sans son modèle. En tant qu’artiste, j’avais une sorte d’admiration pour Greenhalgh. Pour la police, c’est un criminel, mais ce qui était intéressant pour moi, c’était de m’approprier son travail et de faire mes propres faux. J’utilisais donc son oeuvre comme tremplin, de la même manière qu’il l’a fait avec d’autres artistes. »
Sarah Pickering