Sara Macel est née en 1981 à Houston, au Texas. Au travers de son projet What Did the Deep Sea Say, elle explore la ville où résidait sa grand-mère pendant la Deuxième Guerre mondiale et tente de percer les mystères de son histoire personnelle.
Jing Zhao s’entretient avec elle.
Votre série What did the deep sea say a été exposée il y a deux ans au festival Photoville. Il en émane une sorte de puissance tranquille. À quel moment avez-vous démarré ce projet ? Quel est l’élément déclencheur ?
Tout d’abord, quand vous parlez de « puissance tranquille » pour décrire la série, je suis profondément touchée et je voudrais vous remercier. En 2014, mon oncle a trouvé une vieille valise oubliée dans son sous-sol. Elle était pleine de vieilles photos de famille et c’est elle qui a fait naître l’envie de créer cette série. Mon oncle m’a donné la valise en me demandant d’archiver les photos pour la famille. Ma grand-mère venait du New Jersey – et là-bas, ils n’ont pas de palmiers comme ceux-ci. L’homme des photos, j’ai rapidement compris qu’il s’agissait du père Jim, le pasteur de la famille. Il avait toujours été très proche de ma grand-mère et faisait partie de notre vie. Sur ces images, il était jeune et beau, et il souriait à ma grand-mère, avec une étincelle dans les yeux. J’ai eu l’impression d’avoir retrouvé le journal intime de ma grand-mère. Que signifient ces photos ? Pourquoi étaient-elles dissimulées au fond de cette valise ? Je me suis mise à réfléchir à des questions plus générales : quelle version de la vérité se transmet-elle d’une génération à l’autre et quelles histoires restent-elles enfermées au fond de nos cœurs ? Quel genre de femme était ma grand-mère avant de devenir une épouse et une mère ? C’est ce genre d’interrogation qui m’animait quand j’ai débuté le travail sur cette série.
Son titre est celui d’une chanson de Woody Guthrie qui parle d’un marin perdu en mer. Il n’avait jamais écrit de lettre à ses proches et l’océan qui l’a pris « poursuit son mouvement éternel et las ». Mon grand-père était un marin pendant la guerre, et les écoles militaires de la Naval Air Gunners School et de la US Naval Indroctrination and Training School se trouvaient en Floride, à Hollywood. Voilà donc le contexte derrière les photos de plage ensoleillées de ma grand-mère. Au-delà du lien avec le marin, la chanson évoque aussi l’impossibilité de parler aux morts pour leur demander ce qui leur est arrivé. Mes grands-parents sont décédés alors que j’étais au lycée, et le père Jim les a suivis peu après. Avec cette disparition, tout ce qui reste de leur histoire, ce sont ces photographies et la mer qui nous relie.
Vous avez pris toutes ces photos pendant votre séjour en Floride ? Si oui, avez-vous pensé à d’autres lieux ?
Presque tous les clichés couleur ont été réalisés à Hollywood et ses environs. C’était important pour l’histoire d’avoir l’impression que l’endroit était pris dans une boucle temporelle reliant le passé au présent. Ce nom de Hollywood évoque tellement le cinéma, le désir et les apparences… Cependant, certaines images de ma mère, de moi-même et de la valise ont été faites à d’autres endroits qui correspondent malgré tout au thème. Mon travail personnel chevauche la frontière entre fiction et réalité. Certaines photos ont été composées pour représenter un concept, et d’autres ont été prises il y a des années, mais s’intègrent au fil narrateur.
Au fil des prises et par rapport au moment où vous avez ouvert cette vieille valise, avez-vous découvert des choses sur votre grand-mère ?
Je n’avais aucune idée qu’elle était si douée pour la photo ! Ma mère a toujours eu l’esprit créatif, elle aussi, et c’était passionnant de découvrir cet héritage artistique. Je n’avais pas non plus vraiment prévu d’amener ma mère dans ces images. Elle représente le lien le plus tangible entre ma grand-mère et moi. C’est elle, la mémoire de la famille et elle connaît toutes ses histoires. De plus, elle a une âme de détective et adore bavarder. Alors c’était formidable, de l’intégrer au projet. La démarche est en lien avec mon dernier projet, May the Road Rise to Meet You : je l’avais consacré à la vie de mon père, qui sillonnait les routes de l’Amérique pour vendre des poteaux télégraphiques. La question que l’on me pose le plus souvent sur ce travail, c’est « comment réagissait votre mère au sujet des absences de votre père ? ». J’ai donc eu l’occasion, avec ce nouveau travail, de raconter une part de son histoire à elle, d’explorer sa solitude et ses attentes.
Jing Zhao
Jing Zhao est écrivain spécialisé en art. Il réside et travaille à New York.