Si l’on examine la collaboration entre le photographe américain Sandro Miller et l’acteur John Malkovich on s’aperçoit tout de suite que ces deux-là ont cliqué. Ce partenariat unique et ce partage d’énergies inspiré culmine dans un travail qui surprend vraiment non seulement par son échelle, mais aussi par sa profondeur.
Dans sa dernière série en date, Psychogenic Fugue, Malkovich incarne des personnages de l’œuvre cinématographique de David Lynch, et le réalisateur lui-même. Dans ce film de 20 minutes, Sandro Miller et John Malkovich vous emmènent dans un circuit de montagnes russes, où l’on découvre le monde bizarre, hallucinant, intense et totalement divertissant de Lynch à travers une série de vignettes fascinantes.
Psychogenic Fugue a commencé sous forme d’une idée qu’ont eue Sandro Miller et le producteur de musique Erik Alexandrakis, avec qui Miller avait collaboré pour son court métrage primé HELL, où figurait aussi Malkovich– mais nous parlerons de cela plus tard.
Miller et Alexandrakis ont rencontré l’équipe de Lynch pour savoir s’il serait possible de faire un projet avec le réalisateur. Lynch alors était immergé dans un remake de Twin Peaks, et il a envoyé le message suivant à Miller : « David a vu l’hommage aux maîtres réalisé par John (Malkovich) et il est très, très, très intrigué. Il a dit à son équipe qu’il voulait travailler avec moi sur un projet. Il avait cette idée que peut-être nous pourrions faire quelque chose avec ses personnages, les recréer ».
Lynch a également voulu savoir si Miller serait d’accord pour produire un film qui aiderait à promouvoir la méditation transcendantale, une pratique à laquelle se consacre Lynch. En 2005, Lynch a mis en place la Fondation David Lynch pour une éducation axée sur la conscience et la paix mondiale, dont l’objectif est d’enseigner aux enfants et aux adultes du monde entier à méditer.
Enthousiasmé à l’idée de travailler avec Lynch, Sandro Miller a eu l’idée d’un court- métrage où le public se déplacerait le long d’un couloir avec Lynch (joué par Malkovich) faisant des “déclarations profondes à propos de la méditation transcendantale”. Tout au long du film, la narration agit comme une porte métaphorique, qui s’ouvre sur un autre personnage de Lynch. C’est un concept très fort qui s’est traduit brillamment en film.
“Cela fait partie de ces projets qui nécessitent des recherches intensives”, explique Miller, qui a l’habitude de travailler dur et de faire des mois de travail préparatoire. « J’ai revu tous les films de David Lynch, pour tenter de mieux comprendre sa manière de penser, ses personnages, sa façon de diriger, son éclairage. Je voulais faire cette recherche parce que le projet était aussi un hommage à David Lynch, l’un des plus grands réalisateurs de notre époque. Je voulais être très honnête et précis dans la façon dont j’ai présenté son travail. Cela m’intimidait un peu qu’il m’ait autorisé à recréer ces personnages et je voulais faire quelque chose qui démontre un respect total à David ».
Une fois que Lynch a approuvé le script, Miller a commencé à chercher des commanditaires. Il s’est trouvé que la société de solutions informatiques Squarespace, qui était déjà en pourparlers avec l’équipe de Lynch à propos du financement d’un projet, a choisi de soutenir le film de Miller. « Squarespace nous a donné un budget de travail raisonnable qui me permettrait de construire les personnages que je voulais et les décors dont j’avais besoin” », explique Sandro Miller. « C’est incroyable ce que fait Squarespace : ils font passer leur message non pas à travers la publicité traditionnelle, mais en finançant des projets artistiques vraiment intéressants. Pour moi, c’est une belle façon d’atteindre leurs clients potentiels, en aidant les artistes à bâtir leurs rêves. Sans eux, ce film n’aurait pas été réalisé. Cela en dit beaucoup sur l’entreprise et leur philosophie. J’étais très, très heureux de travailler avec eux. Donc, ils ont fourni le financement et David a donné l’inspiration créative. On ne peut pas trouver une meilleure source d’inspiration que David Lynch ».
Red Camera s’est joint au projet et a donné les caméras pour le film, et Red Moon Theatre a autorisé Miller à utiliser leur gigantesque entrepôt de 9.000m2 pour le tournage. «J’ai aussi découvert à Chicago un fantastique responsable de postproduction qui a recréé les décors du film avec une perfection incroyable», dit Miller qui a amené sa meilleure équipe de coiffure, de maquillage et de costumes, la même équipe qu’il a employée sur Malkovich, Malkovich , Malkovich: Hommage aux maîtres photographiques.
Miller, Malkovich et une équipe d’environ 70 personnes ont tourné le film durant cinq “très, très, très longues journées. C’était épuisant, mais John s’est vraiment montré à la hauteur. Pour moi, c’est la meilleure prestation de toute sa carrière. Pour faire vivre si parfaitement huit personnages différents de David Lynch et Lynch lui-même, je pense qu’il a vraiment fait un travail étonnant « .
Quant à Malkovich, Psychogenic Fugue lui a également donné l’occasion de jouer Frank Booth, un personnage pour lequel il avait auditionné quand Lynch choisissait les acteurs pour Blue Velvet. Comme le raconte Miller, Malkovitch émergeait tout juste alors d’une production théâtrale où il avait joué un maniaque psychotique pendant trois mois et il était épuisé.
Miller dit : « Quand vous verrez John jouer Frank Booth – dans la scène où il met le rouge à lèvres, une scène qui devait être tournée en une seule prise parce que le rouge à lèvres est d’une teinte si dense qu’il aurait pris des heures à enlever, il a tapé dans le mille du premier coup ! Il était terrifiant. Je me souviens d’avoir ressenti toute cette tension qui circulait dans mon corps quand il jouait Frank Booth, sa prestation m’a vraiment époustouflé. Et puis dans la toute dernière scène (de Psychogenic Fugue) où il joue l’Homme Elephant, John a fait pleurer toute l’équipe, il a si bien chanté Le Seigneur est Mon Berger et il l’a fait avec une telle sincérité, c’était magnifique ».
“Psychogenic Fugue a été présenté en octobre dernier à Los Angeles au Festival Disruption de David Lynch. « Nous avons eu un énorme succès à ce Festival que David monte pour recueillir des fonds pour sa Fondation de Méditation Transcendantale. Le Festival, qui est organisé par David, dure tout un week-end. Psychogenic Fugue a été acclamé debout et c’était merveilleux de savoir que ses fans ont vraiment aimé ce que nous avons fait “.
Miller affirme que son intention pour Psychogenic Fugue est de le présenter l’an prochain dans divers festivals du monde entier et de monter une exposition itinérante des plans fixes du film. Pour l’instant, ceux qui veulent voir les plans fixes peuvent le faire sur le site Web de la Galerie Catherine Edelman à Chicago. Vous pouvez également consulter la bande-annonce (voir les liens ci-dessous).
Et maintenant parlons de HELL, un autre court-métrage de Miller, qui est aussi le résultat de la collaboration entre Malkovich et Alexandrakis. HELL est actuellement sur le circuit du festival international de cinéma et de projection en même temps que Malkovich, Malkovich, Malkovich: Hommage à l’exposition des maîtres photographiques.
Dans HELL, on peut voir Malkovich réciter l’Allégorie de la Grotte de Platon en faisant face à la caméra. Portant un uniforme de l’armée, un casque, des lunettes de soleil en miroir et un fusil militaire, Malkovich récite avec un aplomb incroyable. Il n’est pas étonnant qu’HELL ait remporté le premier prix lors des Prix internationaux d’arts cinématographiques de New York en 2016. Miller a également créé une impressionnante collection de tirages des plans-fixes du film.
« C’était un de ces projets où la voiture est arrivée avant le cheval. Je savais que John serait au studio pendant quelques jours, mais je ne savais pas exactement à quoi ressemblerait le film jusqu’à ce que John fasse l’enregistrement …. Je savais seulement que je lui demanderais de déclamer l’allégorie de la Grotte de Platon … Je me demandais si je devais le déguiser, lui mettre un uniforme de l’armée américaine, lui faire tenir un fusil M16 et lui demander de réciter?”
Miller a filmé Malkovich devant un écran vert, en sachant qu’il allait ajouter en post-production un fonds pour accompagner « cette très, très longue prise, 8 minutes de caméra braquée sur John. Au moment du tournage, il y a eu un autre exemple de brutalité policière à Chicago. (Le 20 octobre 2014, Laquan McDonald, un policier a tire seize fois sur un Afro-Américain de 17 ans alors qu’il s’éloignait de lui). Ça m’a remué… J’ai pensé à John en train de réciter l’Allégorie de la Grotte de Platon dont le propos fondamental est de décrire l’ignorance et les gens dans l’ombre qui écoutent une voix et l’acceptent comme réalité… L’agression policière m’a donné l’inspiration de montrer toutes les atrocités que les hommes ont commises envers d’autres hommes de la préhistoire aux temps modernes ».
Il pursuit : « J’ai travaillé avec un fantastique illustrateur, Jonathan Caustrita. Je lui ai envoyé ma liste de suggestions des atrocités que nous avons commises les uns envers les autres et lui ai parlé des illustrations que je voulais voir derrière John pendant qu’il récitait. J’ai acheté des images à Getty Images et nous les avons montées pour raconter cette histoire de l’enfer… Nous vivons dans un enfer en ce moment – la façon dont nous traitons les humains c’est vraiment l’enfer. L’allégorie de Platon a été écrite en 390 avant JC et pour moi elle aurait pu être écrite hier car elle est très pertinente par rapport à ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui ».
Miller a travaillé avec “une fantastique” entreprise de post-production, Utopic, pour formuler ce message très fort à propos de ce qui se passe, pour nous demander pourquoi et comment nous pouvons encore commettre ces atrocités les uns envers les autres. « Et maintenant, avec l’élection de Trump, ce texte est plus pertinent et plus significatif que jamais. C’est un texte si fort, et j’ai pensé que c’était vraiment une bonne idée de l’associer avec ces images pour le transformer en un message terrifiant. Nous n’avons rien appris du tout. J’ai parfois l’impression que nous avons fait marche arrière ».
Comme c’est le cas dans tout son travail, ce film « est vraiment venu du cœur. S’il accomplit quelque chose, j’espère que ce sera de faire comprendre aux gens ce qui se passé, pour qu’ils se posent la question : où est l’amour, où est l’humanité ? Je pense qu’un pourcentage énorme de personnes ont bon cœur, mais il y a tant d’évènements déroutants. J’espère que ce film amènera quelques personnes à penser : “Il faut vraiment que nous fassions progresser l’humanité et que nous changions le cours des choses” ».
Miller admet qu’il est très difficile de changer les gens et le mode de pensée de la société, mais que ce n’est pas impossible. « Je pense que les films et les photographie sont d’excellents outils pour nous mettre à le faire. Ils m’ont toujours fait réfléchir à qui je suis, comment je veux agir et comment je veux vivre ma vie ».
Alison Stieven-Taylor
Alison Stieven-Taylor est une écrivaine spécialisée en photographie résidant à Melbourne, en Australie.
Liens:
Psychogenic Fugue trailer: http://www.sandrofilm.com/video/psychogenic-fugue-trailer
HELL, visionner le film ici: https://vimeo.com/189200525/e111169e3e
Galerie Catherine Edelman – http://www.edelmangallery.com/artists/artists/g-n/sandro-miller.html
Sandro: www.sandrofilm.com