Afghan Dream: L’émergence d’une nouvelle classe urbaine à Kaboul
« Si la guerre – les opérations de la coalition, les attentats, le retour des Taliban – a focalisé le regard depuis dix ans, ce qui me frappe en revoyant Kaboul régulièrement depuis vingt ans, c’est l’émergence d’une nouvelle classe urbaine occidentalisée, vivant de l’afflux d’argent qui a suivi la coalition depuis 2001. Loin des clichés de l’Afghanistan enturbanné, les nouveaux urbains se croisent dans les supermarchés de Kaboul, le portable à l’oreille. Les vêtements, surtout masculins, sont plus ajustés, mettant en valeur la fréquentation des salles de musculation et transformant les pratiques corporelles (comment uriner accroupi dans un jean moulant?). Dans l’espace privé, les logements plus petits accélèrent le passage à des unités familiales réduites où les enfants disposent de leur chambre et la hiérarchie des âges se modifie au détriment des anciens dont l’autorité est sapée par les évolutions sociales et technologiques.
L’émergence de cette classe moyenne urbaine ne va pas sans tensions internes; les codes contradictoires coexistent dans un bricolage improvisé. L’invité se rend compte que le premier salon à l’occidental, sert surtout comme signe d’ascension sociale; la vie familiale quotidienne se passe dans une autre pièce, où l’on s’assoie par terre, de façon traditionnelle. L’espace public est également fragmenté, les lieux de sociabilité (cafés, restaurants, salles de gym) des classes moyennes sont largement fermés aux classes populaires dont les valeurs et les références sont largement en contradiction avec les leurs. Le retrait de la coalition pourrait bien amener la disparition de ce groupe urbain porteur d’un projet de modernisation opposé à celui des Taliban – et même d’une partie des élites politiques d’aujourd’hui. Témoigner de son existence est donc important aujourd’hui, avant que les évènements emportent ce témoignage fragile de ce qu’aurait pu devenir l’Afghanistan. »
Gilles Dorronsoro
La série Afghan Dream, est un travail au long cours que je réalise depuis 2011: ayant moi-même habité à Kaboul pendant plusieurs années, j’ai voulu rendre compte de l’expérience de la ville au quotidien via mon regard d’auteur. Photographe représentée par l’agence Picturetank, je collabore régulièrement avec la presse, mais le travail proposé reflète au contraire d’un parti pris documentaire afin de témoigner de l’Afghanistan autrement que par son actualité.
Ma démarche est avant tout de présenter les Afghans, les « Kaboulis » plus précisément, de la manière la plus ordinaire possible et d’aller ainsi à contre-courant des images véhiculées par la presse, focalisées principalement sur le sensationnel du conflit. Une mère de famille qui fait les devoir à sa fille adolescente, des jeunes qui « tchatent » sur leur Smartphone, une famille qui regarde la télévision…: autant de situations qui les rendent plus proches du spectateur, sans que mon but ne soit non plus de gommer leur culture.
Afghan Dream est couplé d’une analyse sociologique de Gilles Dorronsoro, Docteur en sociologie politique et spécialiste de l’Afghanistan contemporain. Le projet s’accompagne également d’une création sonore réalisée par l’artiste Julie Rousse à partir de témoignages, d’entretiens et de sons enregistrés à Kaboul au printemps 2013.
Un projet photographique de Sandra Calligaro réalisé avec le soutien du Centre National des Arts Plastiques fond d’aide à la création photographique contemporaine et de l’association Res Publica.
Expositions à venir :
Du 20 décembre 2013 au 23 février 2014
Bibliothèque Nationale de France F. Mitterrand
Site Tolbiac
75013 Paris
France
&
Du 7 février au 16 mars 2014
dans le cadre du festival Circulation(s)
au Cenquatre
5 Rue Curial
75019 Paris
France