Cette nuit-là, je n’arrivais pas à dormir. Mon corps était au repos mais des images dansaient dans ma tête : lumières artificielles, bâtiments anarchiques, gens inatteignables… Un univers incompréhensible qui m’éloignait durablement du sommeil. Après un moment, je décidai de me lever, de m’habiller et de sortir de chez moi. La rue semblait toute indiquée pour une promenade nocturne mais je n’en pris pas le chemin. Habitant depuis quelques années le rez-de-chaussée d’un immeuble parisien, il ne m’était jamais venu à l’idée d’en explorer les étages. J’appuyai sur la minuterie et empruntai l’escalier…
Le premier palier m’étonna car bien qu’y retrouvant des éléments de décoration que je connaissais, le tapis à motifs persans, la corniche à l’antique, la couleur des portes et le glacis des murs, ce territoire m’apparut étranger… Je ressentis une excitation mêlée de crainte en entamant la montée vers les autres étages car si aucune loi n’interdit à un résident de se promener dans son propre immeuble au milieu de la nuit, j’avais néanmoins l’impression de transgresser quelque chose. Les paliers se succédaient et une intuition me laissait penser que ce que j’accomplissais avait une logique que je comprendrais plus tard.
J’atteignis le 6ème étage baigné de silence. Le grand escalier en pierre de taille emprunté jusque là se transformait alors en une succession de marches étroites menant aux chambres de bonnes. J’y montai, le souffle raccourci par l’effet combiné de l’ascension, de l’excitation et de l’obscurité soudainement revenue. Arrivé en haut, je fis une pause, adossé à la balustrade. J’observai l’endroit sans réactiver la minuterie. La pénombre invitait à la rêverie et mon imaginaire vagabondait… des générations de servantes avaient dû se succéder ici en faisant résonner de leurs talons les parquets et maintenant des étudiants y préparaient leur avenir.
L’unique lumière venait de la lucarne, coulait le long du mur, se déversait sur le sol et remontait sur l’échelle de service en aluminium accrochée là. Celle-ci permettait aux couvreurs, aux ramoneurs et aux vendeurs d’antenne d’accéder au toit. Le cadenas qui en interdisait l’emploi était ouvert. J’y vis un signe m’invitant à aller plus haut. Je fis lentement coulisser l’échelle pour atteindre l’ouverture. Arrivé à proximité, j’ouvris celle-ci, sortis, pris l’échelle avec moi et refermai la fenêtre. Ni vu ni connu. Je me redressai lentement et ressentis un grand calme intérieur.
Alain Cornu
EXPOSITION
Sur Paris par Alain Cornu
Du 7 mai au 24 juillet 2015
Le Salon du Panthéon
13 rue Victor Cousin
75005 Paris
Du lundi au vendredi de 12h à 19h
Entrée libre