La Bibliothèque nationale de France détient la collection la plus importante de photographie lituanienne en dehors du pays aujourd’hui, dont une sélection sera présentée dans l’exposition « The Forms of Things, The Forms of Skulls, Forms of Love » à Paris Photo.
L’Œil de la Photographie a rencontré Dominique Versavel, conservatrice en charge de la photographie moderne au Département des Estampes et de la Photographie afin de connaître l’histoire de cet incroyable fonds.
La constitution du fonds de photographie lithuanienne de la Bibliothèque nationale de France est avant tout une histoire d’amitié. Lorsqu’à la fin des années 1960 le Cabinet des Estampes décide d’enrichir ses collections de photographie contemporaine à l’échelle internationale, Jean-Claude Lemagny est désigné pour cette mission. Il sera en charge de la photographie contemporaine entre 1968 et 1996.
Jusqu’alors essentiellement tournée vers la France, la BnF s’ouvre alors sur le monde et fait entrer dans ses réserves des tirages venus d’Amérique, d’Asie et d’Europe. L’Europe de l’Est constitue une véritable gageure : nous sommes dans les années 1970, le territoire mondial est divisé en blocs. À l’est du rideau de fer, les prises de contact sont loin d’être simples. Lemagny va malgré tout réussir à constituer un réseau constitué de professionnels de musées, de festivals et de revues photographiques. S’il parvient à réunir un corpus couvrant l’ensemble des pays de l’est, il créé avec la Lituanie une relation privilégiée.
Présent à Moscou en 1972 pour la grande exposition photographique « Visages de la France », Lemagny fait une rencontre décisive, celle d’Antanas Sutkus. Grand nom de la photographie lituanienne, celui-ci vient de fonder la Société Lituanienne d’Art Photographique qui compte parmi ses membres un autre jeune photographe, Aleksandras Macijauskas. C’est ce dernier qui va assumer le rôle de passeur entre la Lituanie et la France.
Lemagny et Macijauskas entament une correspondance qui durera plusieurs décennies et mènera, entre 1970 et 1990, à la constitution d’une collection de plus de 1700 tirages de plusieurs dizaines de photographes, parmi eux : Aleksandras Macijauskas, Alfonsas Budvytis, Algimantas Kunčius, Algirdas Šeškus, Vitalijus Butyrinas, Antanas Sutkus, Rimaldas Vikšraitis, Romualdas Rakauskas, Violeta Bubelytė, Vitas Luckus, Romualdas Požerskis, Julius Vaicekauskas, Virgilijus Sonta, Vytautas Stanionis…
En quantité, Aleksandras Macijauskas fut le plus grand donateur avec près de 700 tirages comprenant notamment sa série sur les marchés paysans dans laquelle il exagère les visages par des gros plans ainsi qu’une autre série sur les cliniques vétérinaires où le photographe met en relation l’humain et l’animal à travers des points de vue à nouveau plutôt osés. Comme le souligne Dominique Versavel, ce type de série est assez caractéristique de la photographie humaniste lituanienne : contrairement au mouvement français pour lequel la représentation était assez directe, les lituaniens, bien qu’ils soient dans une optique de reportage social, se démarquaient par des choix formels plus marqués.
Si cette collection est surtout orientée vers la veine humaniste de la photographie lituanienne, courant des années 1950 aux années 1980-90, elle présente également des œuvres plus conceptuelle comme les autoportraits de Violeta Bubelytė, une des rares femmes photographes de cette génération. La dimension poétique était également très importante, en témoigne les photographies pleines de sensibilité d’arbres florissant de Romualdas Rakauskas ou la série Réminiscences d’Algimantas Kuncius, un retour contemplatif et quelque peu mélancolique sur différents lieux de sa vie.
Chose étonnante, Jean-Claude Lemagny ne s’est jamais rendu en Lituanie. La constitution de cette collection s’est faite essentiellement par voie épistolaire. Les photographes envoyaient leurs parutions. Lemagny choisissait dans ces pages les clichés qui allaient rejoindre les réserves de la BnF. Il les recevait quelques mois plus tard dans des enveloppes.
Les lettres échangées avec Aleksandras Macijauskas révèlent autant de discussions passionnées sur la photographie que la naissance d’une amitié. Et si Lemagny découvre la création photographique lituanienne au fil de leur correspondance, il permet aussi à ces photographes de s’ouvrir sur ce qui se fait dans le monde à l’époque, en envoyant par exemple les dernières publications de Robert Frank : cette grande collection s’est construite sur un enrichissement réciproque.
Plus d’informations :