Istanbul Modern présente une exposition de Sahin Kaygun. Agitateur d’une discipline abordée jusqu’alors de façon très conservatrice, il a joué un rôle important dans le développement des perspectives photographiques en Turquie dans les années 1980. Refusant de tenir un propos politique malgré les tourments qui secouaient le pays à cette époque, il s’est concentré sur les possibilités strictement plastiques du médium, et très vite sur la transdisciplinarité. Dès 1977, il crée un groupe de réflexion autour de la photographie, FOTOS, et commence quelques années plus tard à utiliser le Polaroid. Malgré sa position établie dans le milieu – Sahin Kaygun avait au début des années 1980 documenté la scène artistique locale en une galerie de portraits –, il s’attire les foudres des bien-pensants, qui refusent de qualifier sa pratique de photographique.
De fait, il abandonne très vite la seule prise de vues pour explorer les autres phases du procédé. Il recolore ses Polaroids noir et blanc par émulsion et autres expérimentations des réactions chimiques, il gratte les images pour en faire disparaître certains contours avant de les redessiner à coups de peinture. De plate, la surface photographique devient granuleuse, sculpturale. Une fois passée la frontière jusque-là sacrée de la photographie, il poursuit ses recherches plus loin avec des collages aux accents surréalistes avant de mourir prématurément à l’âge de 41 ans.
L’exposition du musée d’Art moderne d’Istanbul se concentre majoritairement sur un aspect précis de cette œuvre protéiforme : ses nus. Grattés, altérés, peints, ils parlent des désirs mais surtout de la façon dont on perçoit une image photographique, de la façon dont le temps et l’intervention humaine altèrent les souvenirs, fussent-ils vivides. Pour certaines images, les différentes variations et étapes du procédé sont accrochées côte à côte. Des textes, sans rapport direct avec les images, ponctuent également l’exposition pour en faire un espace de réflexion davantage qu’une stricte plongée dans une œuvre largement méconnue. De nombreux textes sont notamment signés Murathan Mungan, poète et écrivain toujours très engagé aujourd’hui. Ils donnent en quelque sorte la dimension politique que Kaygun n’a traitée que timidement. « Pour résumer la pratique de Sahin Kaygun, on peut dire qu’il s’est efforcé de transformer ses rêves et sa réalité en trois dimensions », peut-on lire dans un ouvrage sur le nu dans la photographie turque édité par Alberto Modiano.
EXPOSITION
Istanbul Modern
Sahin Kaygun
Jusqu’au 15 février 2015
Sanat Müzesi
Meclis-i Mebusan
Cad. Liman İşletmeleri
Sahası Antrepo 4
34433
Karaköy,
Istanbul, Turquie
http://www.istanbulmodern.org/tr/sergiler/guncel-sergiler/sahin-kaygun_1488.html