Née à Tver en 1986, Irina Popova grandit dans le chambardement de la Russie post-soviétique. À 16 ans, elle débute comme journaliste et photographe, et reçoit sa première récompense un an plus tard. Un temps élève à Saint-Pétersbourg du photographe de presse Sergey Maximishin, elle est dans le Caucase quand éclate, en 2008, la guerre russo-géorgienne. La publication de ses clichés dans les magazines Russian Reporter et Ogoniok confirme son travail de photographe engagée. Dans les zones de conflit ou aux marges de la société, Irina allie à son regard perspicace une profonde humanité.
En cela, elle s’inscrit dans le sillage des Américains Eugene Smith, Nan Goldin et Jessica Dimmock. « J’ai rencontré Lilya dans la rue pendant l’été 2008. J’ai fait quelques portraits, puis elle m’a invitée chez elle. Elle vivait avec son copain Pasha, toxicomane comme elle, et leur fille Anfisa, alors âgée de 2 ans, au sein d’une communauté de marginaux au centre de Saint-Pétersbourg. C’était la fête non-stop, mais Lilya et Pasha ne se débrouillaient pas si mal avec Anfisa. Parfois, les choses leur échappaient, comme lorsqu’Anfisa avait escaladé le rebord de la fenêtre. La main de sa maman l’avait rattrapée, juste à temps. La petite fille était sage : elle ne pleurait pas beaucoup, ne demandait pas grand-chose. Elle s’était adaptée à son environnement. Elle présentait un léger retard de langage, mais ça n’avait pas alarmé ses parents. »
Exposé à Saint-Pétersbourg en 2008, ce reportage a suscité une vive polémique. La plupart des visiteurs souhaitaient que la garde soit retirée aux parents et qu’Anfisa soit placée à l’orphelinat. La police fut alertée, une enquête ouverte, et la photographe sommée de donner le contact de cette famille – ce qu’elle refusa, arguant du droit à protéger ses sources. L’investigation tourna court. « Le photographe ne devrait pas juger. Sa mission est de raconter une histoire. Si quelqu’un me demandait aujourd’hui de me prononcer sur l’avenir de cette petite fille, je répondrais sans hésiter que les orphelinats, en Russie, sont bien pires que sa famille, aussi dysfonctionnelle soit-elle. »
Anna Shpakova, commissaire
Texte extrait du livre-catalogue « Photoquai » coédition Musée du Quai Branly- Actes-Sud