C’est l’un des mails les plus touchants que nous ayons reçu. Il est signé Roméo :
Ma nouvelle série est intitulée : Pourtant les nôtres ont toujours existé.
Elle traite des complexités à se construire en vivant une double identité queer et racisée.
En juin 2022, je participe à la pride radicale de Paris et rejoins le cortège en non mixité entre personnes racisées. C’est une expérience qui me coupe le souffle. Pour la première fois, je ne suis pas seul·e. Les mien·nes sont là autour de moi, si nombreux·ses. Je pleure et suis réconforté·e, étreint·e par les mien·nes. Je prends en photo le ciel de cette première fois et j’en sors transformé·e. Le projet que je présente ici prend racine dans cette première véritable expérience communautaire.
Je traite ici des complexités à se construire en vivant une double identité queer et racisée. A travers des entretiens avec les participant·es, nous nous saisissons de leurs expériences vécues comme base pour aborder le système d’injonctions / projections imposé aux jeunes queers racisé.es. Injonctions systémiques à performer une certaine blanchité ou à minima une assimilation exemplaire, doublées de projections exotisantes et coloniales les enfermant dans un rôle stéréotypé. Nous vivons aussi souvent des difficultés à nous reconnaître au sein de nos groupes d’appartenance du fait de l’invisibilisation (généralement coloniale) de nos aîné·es queers issu·es de l’immigration. A celle-ci se surajoute la quasi absence artistique et médiatique de représentation de personnes queers racisées. Dans cette situation d’équilibriste difficilement tenable, nous sommes poussé·es à « choisir notre camp », entre queerness blanche et placards familiaux.
Pour la séance photo nous travaillons avec un corpus d’images choisies par les modèles, qui les ont marqué·es, touché·es, blessé·es. Ces images peuvent être issues de projections subies ou de représentations choisies. Ce sont celles-ci que nous projetons sur le corps des modèles. La perspective donne un pouvoir radical et délibérément provocant. Il s’agit de se réapproprier ces images, de devenir maître de la narration, de questionner la posture du spectateur·ice. La démarche est intégralement pensée avec les participant·es de façon à s’expérimenter en sécurité et dans le cadre de leurs besoins, envies et limites, leur permettant ainsi de regagner une agencéité narrative et picturale.
A travers ces photos nous créons par nous-mêmes les images qui nous ont manqué, et participons à la création d’une nouvelle iconographie queer et racisée. Elles sont des témoignages de notre existence, de notre survie et de notre richesse en dehors des itinéraires préconçus.
Cette œuvre est pensée comme transmédia, les entretiens enregistrés ont autant d’importance que les photos exposées, le podcast (diffusé sur spotify) est un outil puissant pour mieux comprendre les images et les vécus des participants, pour se plonger dans leur expérience subjective du monde. C’est un travail en cours, in-terminable, qui s’enrichit de la participation de nouvelleaux modèles.
Aux antipodes d’un discours extérieur d’apitoiement autour de vécus amalgamés ou d’une pseudo neutralité hégémonique, cette œuvre s’inscrit au cœur de ma pratique artistique, proposant un point de vue situé et abordant de l’intérieur nos existences minorisées. Elle détourne et s’approprie les codes d’un art officiel qui n’en finit pas de piller les nôtres pour en faire une démonstration de vie, de richesse et de force dans la multiplicité de nos postures et nos expériences.
Roméo
IG @ro.meo.photo