Après New York (International Center of Photography, 2013) et Amsterdam (Joods Historisch Museum, avril-août 2014), le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris présente l’exposition Roman Vishniac : de Berlin à New York, 1920-1975. Environ 220 œuvres, réparties en quinze sous-parties — de Berlin, donc, dans les années 1920, à New York à partir de 1941 — correspondent aux différentes étapes du travail et de la vie de l’artiste.
L’exposition est à ce titre triplement passionnante : d’abord, et à l’évidence, l’intérêt documentaire et la beauté des photographies ; ensuite, le destin de Roman Vishniac, qui épouse étroitement les vicissitudes des pays qu’il habite et celles de la population juive européenne entre les deux guerres ; enfin, une compréhension plus juste de sa carrière de photographe, au-delà des images des années 1930 sur la vie des communautés juives d’Europe de l’Est, pour lesquelles il est internationalement reconnu. Au fil de son parcours, on voit son style évoluer en fonction des sujets auxquels il se consacre.
Né en 1897 près de Saint-Pétersbourg dans une famille juive aisée, Roman Vishniac grandit à Moscou, où il étudie la biologie et la zoologie tout en se passionnant pour la photographie. En 1920, après un passage par Riga au cours duquel il se marie avec Luta, il rejoint sa famille, qui a fui la révolution russe, à Berlin. Là, tout en poursuivant ses recherches en microbiologie, il parcoure les rues équipé d’un Leica et d’un Rolleiflex. Ces premières images attestent de la naissance d’un photographe humaniste, à l’énergie débordante et au sens de la composition frappant. Il shoote des familles, des passants, son quartier, la vie de tous les jours… C’est aussi à Berlin que naissent ses deux enfants, Wolf et Mara. À l’arrivée du nazisme, Vishniac photographie sa fille devant les signes de la persécution qui s’installe — croix gammées, affiches électorales ou devantures de magasins qui exaltent l’aryanisme.
En 1935, le Joint (Jewish Joint Distribution Committee, la plus grande organisation juive d’entraide dans le monde) lui commande un reportage sur les populations juives pauvres d’Europe orientale. Pendant quatre ans, il va sillonner la région, de la Pologne aux Carpates. L’exposition Un Monde disparu, montrée en 2006 au MAHJ après New York en 1983, était largement revenue sur ces images fortes qui ont forgé la notoriété de leur auteur et qui constituent le témoignage le plus fréquemment publié de ce monde avant sa destruction. Où l’on retrouve ce grand-père avec sa petite-fille, l’une des photos préférées de Henri Cartier-Bresson, nous dit le cartel ; Sara, la petite fille au regard triste dans son lit ; les colporteurs, les petits commerçants, les colonies des organisations caritatives juives ; et, plus généralement, la misère de certains Juifs polonais dans ces années-là, les sous-sols voûtés dans lesquels s’entassent les familles, la recherche de travail, les gestes quotidiens. Le sort des enfants, auxquels s’est particulièrement attaché le photographe, reste le plus poignant, au-delà de l’indéniable qualité visuelle des images.
En 1939, le Joint l’envoie documenter les camps d’entraînement à la vie agricole en Hollande. Ils accueillent les jeunes sionistes en attente de visa pour la Palestine. Vishniac photographie en contre-plongée ces jeunes au physique sportif travaillant en plein air. Ces images de vie saine et active constituent une parenthèse temporelle avant l’invasion des Pays-Bas. Toutes les sections et certaines des images de l’exposition sont accompagnées de textes qui expliquent et recontextualisent, ajoutant à la valeur du témoignage.
Après un passage chaotique en France, il embarque avec femme et enfants depuis Lisbonne pour les États-Unis, où il arrive le 1er janvier 1941. À New York, Vishniac continue à photographier la communauté juive : des portraits de personnalités comme Albert Einstein ou Marc Chagall, les clubs, le Village Vanguard ou le Café Society. Un monde dont la vitalité contraste avec ses photos d’avant-guerre. Puis les migrants qui arrivent d’Europe, qui figurent parmi ses images les plus fortes, : des fratries d’enfants, l’intégration des réfugiés, le travail des organisations caritatives. Dans les documents sur cette période, une touchante lettre de Vishniac au président Roosevelt en 1942 atteste du mal que se donne le photographe pour alerter les autorités sur le sort de la communauté juive européenne.
Après la guerre, Vishniac, devenu américain, reprend le chemin de l’Europe pour un reportage sur les camps qui abritent les survivants et les déplacés. Il en profite pour revenir à Berlin, d’où il rapporte des images hantées de la ville en ruine et de la vie qui reprend. L’ensemble se conclue avec le retour, à partir des années 1950, une fois la prospérité retrouvée, à ses premières amours : la photographique biologique au microscope. Roman Vishniac meurt en 1990 à New York.
L’exposition doit énormément au remarquable travail de recherche, de restitution et de documentation de Maya Benton, la commissaire américaine de l’exposition à l’ICP, qui signe également les textes du Photo Poche consacré au photographe.
EXPOSITION
Roman Vishniac : De Berlin à New York, 1920-1975
Jusqu’au 25 janvier 2015
Musée d’art et d’histoire du judaïsme
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple
75003 Paris
France
Roman Vishniac
Photo Poche n°153
Actes Sud
13 €