Vendredi 13 : jour de chance pour les uns, jour de malheur pour les autres… Ce vendredi 13 septembre 2019 est un jour de deuil. Roger Kockaerts (aussi connu aux USA sous le pseudo de Coqart), photographe, galériste, enseignant et spécialiste en restauration-conservation préventive de documents photographiques nous a quittés.
“Adieu Roger, et merci” par Jacques Kevers
En 1945, un GI américain laisse derrière lui un exemplaire de la revue « Popular Photography »: ce fut le début de la passion du jeune Roger pour la photographie. Cette période fut sans doute aussi à la base de son amour du Jazz. Le Jazz ne le quittera jamais ; la photographie, il y reviendra bien vite, après des études en électromécanique et un début de carrière à l’Université Libre de Bruxelles. Dès 1957, il rejoint le Photo Club de Boitsfort, où sont passés quelques grands noms de la photographie belge, comme Pierre Cordier et Julien Coulommier.
Mais l’esprit de compétition des clubs de photographie n’est pas sa tasse de thé: il décide alors de voler de ses propres ailes.
Son goût pour la nature l’amène à en photographier les textures minérales et végétales; fasciné par le mélange de hasard et de prédétermination qui semble être la base de leur formation, il se lance ensuite dans le « computer art » et explore les motifs aléatoires générés par des programmes informatiques. Il combinera par la suite ces formes avec des tirages argentiques et les symboles offerts par les claviers pour créer des diptyques, ensembles sémantiques-analogiques qui sollicitent l’attention et la complicité du spectateur.
Son projet « Végétation en Péril » pour lequel il a utilisé le procédé historique de la cyanotypie, en hommage discret à Anna Atkins et ses « Photographs of British Algae… », est plus un cri d’angoisse qu’un effort encyclopédique, quand il voit avec quelle terrible efficacité l’homme met en péril un nombre croissant d’espèces végétales et animales. L’utilisation d’un procédé séculaire, d’un papier à haute teneur en cellulose, et de matières de haute conservation n’est pas anodine…
Pour son projet « Recyclage » il récupère d’anciennes plaques photographiques, jetées au rebut par leurs propriétaires originaux en raison de leur déterioration, pour leur donner une nouvelle vie en les imprimant au palladium sur du papier de haute qualité. Il détourne ainsi ces objets de leur utilité originale et leur offre une nouvelle vie comme objet d’art. Mort et permanence – de quoi méditer en ce jour de la disparition de l’auteur…
Il utilise sa version modernisée de l’orotone, technique alors pratiquement oubliée, qu’il rebaptise « chromotypie » pour réaliser ses séries « Maithuna » et « Opium Fields ».
Ses travaux récents (« Soldats inconnus »..) sont plus inspirés par l’intention photographique, et moins par le côté purement esthétique.
Ses œuvres se trouvent maintenant dans de nombreuses collections privées, musées et institutions dans le monde entier.
Dès 1980, il s’intéresse à la permanence des émulsions photographiques. Considéré comme un des pionniers en la matière, il crée en 1989 Permadocument-pH7, une structure spécialisée dans la conservation-restauration de documents photographiques. De nombreuses institutions, musées et galeries ont fait appel à son expertise. De 1994 à 2007, il a dirigé le département conservation et restauration à l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers. Aujourd’hui, ses anciens étudiants travaillent dans de nombreux musées dans le monde…
J’ai fait la connaissance de Roger un peu par hasard au début des années 1990, en visitant une exposition d’artistes exposant leurs tirages au platine-palladium dans sa galerie « Atelier pH7 ». Ce fut un homme charmant, affable, disponible qui guida le néophyte que j’étais pour l’initier aux techniques photographiques anciennes. Une visite que j’avais pensé faire en une trentaine de minutes, et qui se prolongea pendant des heures… Des années plus tard, il fut tout de suite là quand j’ai voulu créer, avec l’aide de queques amis photographes, le collectif « Picto Benelux » consacré aux techniques photographiques anciennes. Sans son support discret, mais dynamique et efficace, ce groupe n’aurait jamais pu être ce qu’il est devenu.
Aujourd’hui un artiste, un grand connaisseur de la technique photographique, mais aussi un homme généreux, modeste, sensible, un véritable gentleman et un ami nous a quittés.
Merci Roger!
Jacques Kevers
