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Rockabilly ’82, une aventure normande par Gil Rigoulet

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Evreux, 1982. Pendant quatre mois, le photographe suit Marco, Raynald, Michel, Eric, Boumé, Lionel, Titi, Denis, Alan, Jimmy, Bouboule et les autres. Cette série en noir et blanc est aujourd’hui exposée au 106 à Rouen. Gil Rigoulet raconte pour L’Œil de la Photographie cette magnifique histoire sur fond de rock & roll.

A l’époque, je vivais à Evreux. Je collaborais à l’hebdomadaire La Dépêche depuis 1975 et je commençais à vendre mes photos dans des journaux (dont Libération) et magazines parisiens. Je suivais des amis qui avaient montés des groupes de Rock, et depuis les années 1970, j’allais à Londres régulièrement pour les festivals ou les clubs de Rock dont le Marquee où passaient les Who, David Bowie, Jethro Tull, les Moody Blues, Jimi Hendrix, Pink Floyd, Joe Cocker, les Sex Pistols, The Police, Guns N’ Roses, The Cure…

C’est dans le fraicheur de l’hivers 1982, près du plan d’eau qui donne sur la cathédrale d’Evreux où je tombe pour la première fois sur une brochette de bananes au style de Lucien, le Rockeur du dessinateur Margerin. Sans retenue, j’aborde le groupe en Teddy, et leur propose de les suivre dans leurs sorties. Ils venaient du quartier pavillonnaire de Saint Michel, des grands ensembles d’immeubles du quartier de la Madeleine. La plupart étaient ouvriers. Je propose le sujet au rédacteur en chef de La Dépêche, Jean Louis, qui est partant.

Ces Rockabs formaient un groupe de copains, ils étaient en lien avec le « Revival » du mouvement teddy boy en Angleterre qui avait débutait dans les années 1972-75. Ils avaient des potes à Rouen et se retrouvaient au Liberty Bar (un bar qui datait de la présence américaine sur la base aérienne d’Evreux) et ensuite aller danser au Ranch Jularedo dans un bled au fond de la campagne.

Pendant quatre mois, j’ai suivi Marco, Raynald, Michel, Eric, Boumé, Lionel, Titi, Denis, Alan, Jimmy, Laurent, Bouboule et les autres, dans leur chambre, avec leurs parents, au salon de coiffure Tuffier, au boulot, chez King Bee le disquaire, sur le marché où ils trouvaient leurs fringues, et dans leurs virées nocturnes.

J’abordais ce groupe avec les principes du reportage de fond, en détaillant tout, savoir d’où ils venaient en allant chez eux, beaucoup étaient encore chez les parents, chez le coiffeur, sur les parkings où ils bricolaient les voitures, où ils travaillaient, mais les portes des entreprises se sont vite fermées pour moi, sauf le patron d’une laverie de drap hors du temps qui m’a accueilli.

Ils étaient pour la plupart ouvriers, ils passaient leur temps entre eux à écouter de la musique – Gene Vincent, Elvis Presley, Crazy Cavan and the Rhythm Rockers –, et avaient pour rêve de partir pour les Etats-Unis : les bagnoles, les clubs du sud des US, les filles en pin-up avec talon aiguilles et robe à faire tourner. Ils passaient du temps aussi chez le disquaire « King bee » à écouter des vinyles importés d’Amérique.

Au-delà de leur look soigné, sur le parking de Saint Michel, ils bricolaient de vieilles Simca Chambord, Versailles ou des Aronde en guise de belle américaines. Le reste de la semaine, c’était horaires boulots et café en fin de journée dans leur bar repère.

Mon statut de photographe de l’hebdomadaire local connu et l’intérêt que j’avais pour eux, ont participé à mon acceptation de leur part. Ils m’ont probablement sondé… Je les suivais avec un journaliste-ami, Yves. Mais pour faire des photos je passais plus de temps avec eux. Ce temps a permis de mieux nous connaître, je pense qu’au bout d’un moment je faisais partie de leur décor avec mes Nikon F.

Je sais me faire oublier, devenir presque transparent tout en étant très concentrés sur mes images, mais je sais parler au moment où il le faut et re-disparaitre aussi vite. Le lien se tissait tranquillement, du photojournaliste qui les avait contacté, je passais au statut de quelqu’un qu’ils connaissaient et acceptaient.

Je pouvais passer chez eux, photographier leurs chambres et parfois déjeuner avec leurs parents. Après plusieurs semaines, ils avaient pris l’habitude de me prévenir dès qu’ils faisaient quelque chose. Les séances chez le coiffeur avaient toute leur importance, le salon tenu par Mr. Tuffier, lunetté 70, le bouc et affublé d’une large cravate à motif floraux. C’était le grand magicien de la banane, un artiste !

Un soir, après avoir pris de l’essence à la fameuse station essence Mobil d’Evreux, réputée pour être la seule ouverte la nuit et où l’on pouvait acheter de la bière tard… Direction le Ranch Julerado au Coudray en Vexin, soixante bornes sur des petites routes, le cortège de DS, Chambord, Aronde filait, les chats détalaient, les chiens hurlaient aux loups dans les hameaux traversés. Les V8 des Simca Versailles ronronnaient mais, devaient ralentir pour ne pas perdre les Arondes essoufflées…

Le trajet durait et les bières s’épuisaient, un ballet s’organisait tout en roulant pour se refiler les canettes restantes de portière à portière, avant d’arriver dans un village paumé du dancing “Ranch Jularedo“ où Little Richard figurait encore au juke box.

 

Gil Rigoulet

Gil Rigoulet est un photographe français qui a débuté sa carrière en 1975, travaillant pour tous les plus grands journaux français et internationaux durant plus de trois décennies.

 

Gil Rigoulet, Rockabilly 82
24 janvier au 24 mars 2018
Le 106
Quai Jean de Béthencourt
76000 Rouen
France

www.rouen.fr

 

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