C’est une œuvre d’art éblouissante, pleine de vérité et d’une beauté à vous couper le souffle — une méditation profondément politique sur la justice et l’injustice, sur les races et le racisme, sur l’humanité et l’inhumanité. A mon avis, c’est un livre extraordinaire. Il s’agit des photographies d’un artiste américain, Richard Sandler, qui, d’après moi, est l’un des meilleurs photographes de rue à avoir pris les maisons pour sujets. The Eyes of the City réunit des instantanés pris à Boston et à New York, et couvre l’époque qui va de la fin des années 1970 jusqu’aux jours précédant le 11 septembre, quand les avions ont percuté les tours. Ces photos ne sont pas seulement des documents puissants, profonds et singuliers d’une époque, d’un lieu et d’un peuple. Elles abordent aussi des vérités intemporelles, souvent douloureuses, tout aussi pertinentes aujourd’hui qu’autrefois.
J’ai entendu parler de Richard Sandler il y a vingt-cinq ans. Je faisais alors des émissions documentaires pour la radio et je venais d’entamer une collaboration avec le photographe Harvey Wang. Un soir, Harvey m’a parlé d’un type qu’il a décrit comme le plus pur artiste qu’il ait jamais rencontré. Il mangeait, respirait et dormait en pensant à la photographie de rue, et sa dévotion à son métier avait un caractère singulier, monastique, parfois même punitif. Un jour, peu de temps après, j’ai rencontré Richard Sandler qui errait dans les rues de l’East Village, l’appareil contre son œil. Richard correspondait tout à fait à la description de Harvey.
Quelques jours plus tard, j’ai visité son appartement et sa chambre noire tout en longueur sur East 10th Street et j’ai eu mon premier aperçu de son travail, dont un bon nombre de photographies que vous trouverez dans ce livre. Sur la table de la cuisine étaient posées quelques-unes des photographies les plus complexes et les plus émouvantes que j’ai jamais vues. Des images qui vous prennent aux tripes et qui vous rappellent ce qui est vrai et ce qui compte vraiment. Certaines photos de Richard en disent plus sur l’humanité en quelques centimètres carrés que je ne pouvais espérer en capter avec des dizaines ou des centaines d’heures d’enregistrements. Sans parler des visages : quels visages ! J’étais complètement scié.
Quelques années plus tard, au milieu des années 1990, j’ai eu la chance de travailler avec Richard sur un projet intitulé Les Dieux de Times Square. Il s’était mis à tourner dans la rue en vidéo et passait d’innombrables heures à enregistrer les zélotes religieux qui prêchent aux environs de Times Square. Il m’a montré un bout de film.
Il n’était pas encore prêt à en faire un documentaire vidéo, mais j’ai suggéré que cela pourrait faire une bonne émission de radio. J’étais en train de passer de l’audio analogique (bande éditée avec des lames de rasoir sur des magnétophones à bobines) au numérique, et j’ai collaboré de près avec Richard pour faire entrer les meilleurs sons et histoires qu’il avait collectés sur un couple de lecteurs d’un gigabyte (pour un coût de 1.000 dollars à l’époque). Nous avons créé un documentaire diffusé plus tard sur N.P.R1 dans l’émission All Things Considered.
Ma collaboration avec Richard Sandler a été un moment fort de ma carrière. Il m’a beaucoup appris, et surtout d’avoir le courage de mes convictions. Ces voix, enregistrées dans un Times Square alors plus vieux et plus bizarre, m’accompagnent encore aujourd’hui.
Dans les années qui ont suivi, j’ai eu la chance d’acquérir une petite collection de photographies de Richard, qui vivent maintenant sur nos murs. Elles ont toujours le même impact. Elles possèdent encore des couches de sens et de mystère que je n’ai pas déchiffrées. Beaucoup sont si profondes et parfaitement composées qu’elles semblent avoir été mises en scène — était-ce possible que les choses se soient déroulées ainsi ? Mais oui, et heureusement pour nous, Richard était là pour capter ces moments.
Je regarde, par exemple, une photo suspendue dans la salle de jeux de nos enfants [la même image apparaît à la page 116 de ce livre]. A première vue, une mère afro-américaine essaie d’empêcher qu’on ne prenne en photo ses enfants endormis. Mais regardez encore. S’agit-il vraiment de ses enfants ? Pourquoi se penchent-ils vers la femme blanche à leur droite ? Qui est la mère ? Quelle est leur histoire ? Maintenant, tentez cette expérience avec les autres photos du livre. Ouvrez-le à n’importe quelle image. Regardez, comprenez, égarez-vous, mettez-vous en colère, riez de l’ironie, soyez ému.
L’œuvre de Richard Sandler, et l’homme lui-même, ont quelque chose de profond et de mystique. Ce trait évoque le jeune garçon dont la photo orne la dernière page de ce livre. Il semble s’élever comme un phénix au-dessus de la fontaine, sans être touché par l’eau qui l’entoure. On a dit que les artistes les plus sincères vivent dans les marges et souffrent pour leur art. Richard Sandler est l’artiste le plus vrai que j’ai jamais eu la chance de connaître. Ce livre est un don pour l’humanité.
Dave Isay
Richard Sandler, The Eyes of the City
Editions PowerHouse Books
49,95 dollars