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Respectons nos Images Photographiques

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Respect, c’est le mot que nous entendons à tous les coins de rues pour s’entendre dire, dans tous les domaines, qu’il ne représente plus rien. Le respect s’éteint avec la disparition des valeurs et de leur échelle. Plus de points de repère, plus de positionnements, plus de respect même a minima.

Cette constatation, dont nous commençons à voir la portée dans le comportement sociétal, produit les mêmes effets dans la création et dans les technologies.

Notre Photographie n’est pas épargnée. Mais, ne vous êtes-vous pas aperçus que nous en étions les premiers responsables. Notre course pour une reconnaissance immédiate, notre précipitation vers la facilité, notre ignorance des étapes incontournables, notre négligence de la pérennité, contribuent à ce nivellement vers le bas que nous subissons. Nous sommes tous les témoins de cette dégradation permanente, nous en sommes également tous les acteurs conscients.

Le culte de l’ego dans l’urgence, surmultiplié depuis l’implantation des réseaux dits sociaux, amène tous les pousseurs de déclencheurs – auto proclamés photographes – à bâcler n’importe quelle image. L’essentiel consiste à l’expédier dans un de ces univers composés par une multitude indélébile et permanente d’horreurs. Le fait que nos mémoires soient programmées pour une lente autodestruction ne change rien à l’affaire, les mémoires numériques s’enflent à outrance tandis que la mémoire humaine se délite méticuleusement. Ne souriez pas, collègues photographes qui êtes prudemment éloignées des réseaux sociaux, vous vous êtes souvent laissés entraîner par cet ego infernal. Vous vous êtes laissés séduire par ce système à fabriquer des avatars de personnalités (sans savoir pour qui !) à la chaîne. Toutes les occasions d’exposer (fréquemment à vos frais) ou de réaliser un livre (toujours avec votre porte-monnaie) est saisie – avec gourmandise – sans même savoir quoi ? Comment et pourquoi deviennent également des interrogations subsidiaires négligées. Le tout s’organise dans une impréparation constante qui amène nos visiteurs à contempler, dans le meilleur des cas, des images tellement mal réalisées que leurs productions personnelles leur paraissent géniales. Ceci justifie peut-être cette permanence de longues litanies affichées dans toutes les expositions (si possible avant l’accès aux œuvres) pour tout expliquer de la vie de l’auteur et de la réalisation des photographies, accouchées dans des conditions exceptionnelles. Ainsi, nous manquons de respect à nos propres images pour une course temporelle à la reconnaissance éphémère. Alors, ne nous étonnons pas des médiocrités pendues aux cimaises.

Dans la précipitation est bien le terme exact tant le rythme du temps s’accélère sous les poussées ininterrompues des technologies, en particulier celle du numérique. Vous allez gagner du temps, vous affirme-t-on, (et personne ne conteste cette ineptie) puisqu’une suite binaire va travailler pour vous. C’est typiquement ce que nos aïeux appelaient, avec plein de bon sens, se mettre le doigt dans l’œil. Action qui n’est guère conseillée pour un photographe, même s’il est sollicité dans l’urgence. Il est maintenant admis par ses vrais utilisateurs que l’informatique ne fait rien gagner du tout et surtout pas du temps. Ce temps que vous espérez grignoter, avec tous vos appareils modernes, dévore littéralement la qualité de vos créations dans leur réalisation. La compréhension du problème est simple, les machines – même très complexes – mises à votre disposition (contre quelques monnaies substantielles) fonctionnent sur des cheminements binaires. Lorsqu’ils travaillaient encore normalement, vos cerveaux interagissaient simultanément dans plusieurs espaces multidimensionnels. Cela s’appelle la liberté guère compatible avec la série de choix obligatoire que vous impose votre dernière et merveilleuse acquisition. Il est vrai qu’il est facile, dans une conception pleine de contraintes, de laisser le choix se faire par défaut, même si le résultat final réplique avec ses défauts à lui. Une œuvre véritable exige l’intégralité de notre imagination, de notre travail, de notre concentration, elle ne peut pas exister dans une sphère presse-bouton.

Nous avons aussi totalement oublié le rôle indispensable des étapes et de leur chronologie, dans la réalisation d’une œuvre photographique, même imaginaire. Notre focalisation sur notre image de n’importe quoi, exposée n’importe comment, n’importe où, occulte entièrement notre souci de patience indispensable pour apprendre et pour maîtriser notre savoir-faire. Par exemple, j’ai encore été interpellé lors de toutes les expositions de cette année par la médiocrité de très très nombreux tirages et pas tous parmi ces fameux « vintages ». Les imprimantes numériques auto-tout compris (calibres, contrastes, nettoyages, formatages, etc.) impriment en solitaire. Une formation de six mois, voire moins, vous formate un tireur photographique « d’élite ». Le laboratoire se charge de tout, il est inutile de vous déplacer (surtout s’il est au fin fond de la Chine). Les tirages, les façonnages sont garantis par … le matériel le plus performant (je n’évoquerais même pas le personnel le plus …). Comme le rappelait à Arles 2023, un de nos confrères, à la réputation justifiée, pour prétendre à une classification d’œuvre d’art, le photographe doit assurer la totalité de la réalisation, dont pratiquer lui-même les impressions ou en assurer un contrôle permanent. Deux années de laboratoire analogique et deux années de laboratoire numérique, lui semblait un bon apprentissage de base pour commencer à revendiquer quelques œuvres acceptables. Bien entendu, ce qui est vrai pour les laboratoires, l’est pour les prises de vues, pour les éclairages, pour les choix de matériels adaptés. Une photographie n’est pas géniale parce qu’elle est prise à la chambre. Non, elle pourra être correcte par le choix de la bonne technologie pour la captation et de la bonne optique pour le sujet. Pour le génie, c’est une autre affaire ! Nos images méritent que nous ne brûlions pas les étapes et que chacune d’elles soit traitée avec tout le respect qu’elle exige.

Enfin, nos photographies ne sont pas des mouchoirs jetables ! Il y en a assez de ces images, certes très souvent insipides, qui sont poussées dans l’anonymat par la suivante, avant même leur première parade. La course après je ne sais quoi est tellement importante qu’il faut être dans les flux de mode, la même mode, un jour plus tard, se retrouve reléguée aux oubliettes. Il est compréhensible que les photographies de presse soient éphémères, bien que l’histoire soit un éternel recommencement, n’est-il pas ? Nous comprenons également que les fixations sur des photographies de syndromes psychonarcissiques s’estompent avec la guérison de leur auteur ou avec son âge qui rend ses autoportraits dévêtus nettement moins aguichants. Mais, pour les travaux aboutis, construits et émouvants, n’est-il pas plus important d’en assurer une préservation organisée ? Plutôt que de faire de trop longs textes indigestes à l’entrée d’une exposition ou en regard des images d’un livre, un classement rigoureux et protecteur semblent plus judicieux. Si vous respectez votre travail, ces petits 80% de transpiration qui sied à la création d’un bel ouvrage ne sont jamais inutiles.

Notre monde photographique, comme les autres, nous abreuve de vacances et de loisirs toute l’année, veuillez m’excuser de vous traîner dans l’espace du travail pendant vos vacances. Pour un photographe, notre travail (même professionnel) était un loisir, souhaitons-nous qu’il le reste.

Thierry Maindrault, 14 juillet 2023

[email protected]

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