Avocat au barreau de Tournai, évoluant dans le milieu aisé de la bourgeoisie industrielle, René Desclée (1868-1953) a eu le privilège de pouvoir s’adonner à tout ce qui le passionnait. Formé aux humanités les plus classiques – il était docteur en droit, il possédait son propre laboratoire photographique, ainsi qu’un atelier parfaitement outillé dans lequel il a conçu et réalisé la quasi-totalité de son équipement. S’il a laissé à la postérité, outre ses quelque 7000 clichés, une documentation scientifique et technique abondante, l’homme ne s’est jamais livré ; les témoignages qui évoquent la richesse de sa vie sociale s’accordent même sur son extrême discrétion. De fait, René Desclée fut tout entier dans le regard qu’il portait sur le monde et dans la recherche d’une distanciation pour laquelle la photographie s’est avérée le médium idéal. Membre de la Société royale d’histoire et d’archéologie pendant près de 60 ans, René Desclée n’a cessé d’étudier et de défendre le patrimoine du Tournaisis. Son engagement a pu prendre par moment un tour particulièrement original et novateur, notamment dans son plaidoyer en faveur du dégagement de la cathédrale. En effet, afin de rendre plus tangible le projet de restauration qu’il défendait, il réalisa des montages photographiques intégrant des maquettes de la sacristie confectionnées par ses soins. Toute la saveur du personnage est dans cette combinaison : l’esprit méthodique et l’habileté manuelle au service d’une imagination visionnaire particulièrement riche. La grande affaire de René Desclée reste cependant la photographie aérienne par cerf-volant. Là encore, les expériences qu’il a menées pour améliorer le procédé furent largement motivées par le désir de renouveler le regard porté sur le patrimoine local. La plaine des Manoeuvres, proche du centre-ville de Tournai, permettait d’obtenir des vues inédites de la cathédrale et des constructions pittoresques qui se serraient à l’époque autour d’elle. C’est de là que René Desclée prit ses premières photographies aériennes, en avril 1910. En trente ans et 124 clichés, il accédera au sommet de la maîtrise technique dans cette spécialité. Pour commencer, il parvint rapidement à centrer ses vues presque systématiquement à la perfection. Il chercha ensuite à s’élever plus haut pour que l’objectif puisse couvrir un champ plus vaste. Capable de faire fonctionner son appareil à 300 mètres d’altitude, il perfectionna alors le système pour en améliorer la précision : contraint à alléger l’ensemble du dispositif du fait de l’emploi d’un négatif de plus grande dimension, il conçut et fabriqua une chambre en contreplaqué pour laquelle il sélectionna le matériel optique avec la plus grande rigueur. Enfin, il mit au point une suspension inédite destinée à diminuer l’amplitude des mouvements transmis à la chambre par le cerf-volant. Preuve de la qualité obtenue dès 1920, les Dominicains de Kain firent publier sous forme de carte postale une des vues de René Desclée montrant l’ensemble des bâtiments de l’abbaye du Saulchoir. Après un dernier cliché au-dessus du site archéologique d’Antoing, le 2 juin 1939, René Desclée estima qu’il était allé au bout de ses expériences en matière d’aérophotographie, et revint à une pratique plus classique qu’il continua d’exercer jusqu’à ses derniers jours. Curieux de tout, qu’il se pose en témoin des mutations de son environnement proche ou de la vie des hommes et femmes qu’il côtoyait, René Desclée a laissé la marque d’un authentique humaniste.
A.C.