Plus discret cette année, le Off des Rencontres de Bamako s’est incarné à travers quelques lieux et expositions, à l’exemple de « Koungo Finiti » d’Arnold Grojean.
L’Afrique de l’Ouest connaît certaines tragédies urbaines qu’il convient de regarder sans pathos, mais avec une lumière crue, sans fard ni grandiloquence, sans arrogance ni ignorance. Pour le dire autrement, avec un regard aiguisé.
« Koungo Fitini » signifie « problèmes mineurs » en bambara. Le photographe belge Arnold Grojean a documenté pendant plusieurs années le quotidien des « enfants des rues », aussi appelés « enfants trafiqués », deux litotes désignant le phénomène des enfants volés à leur famille, ou livrés à eux-mêmes parce qu’orphelins ou sans le sou, et exploités la plupart du temps par des réseaux informels, si ce n’est pas leur propre famille.
Ces enfants sont subtilisés à leurs familles et à leurs quotidiens dans diverses parties du Mali, dans des zones périphériques de la capitale ou des quartiers défavorisés. Certains mendient au marché soudanais ou aux feux rouges, d’autres volent aux Halles de Bamako. Olivier Douville dans la revue Enfances & Psy (2003, n° 22) donne un tableau plutôt fidèle de leur réalité.
Ce que ne peut pas toujours représenter l’enquête psychologique, sociologique ou journalistique, la photographie le peut. En l’état, le reportage d’Arnold Grojean publié en 2013 donne à voir une dizaine d’enfants dans âgés de 11 à 13 ans. La plupart vivent dans la rue. Le photographe a souhaité représenter leur réalité tout en leur donnant des moyens d’expression. Son exposition au Musée de Bamako donne une grande place aux langages ces enfants. Ce sont leurs carnets, leurs portraits nocturnes (après leur avoir enseigné les rudiments de la photographie), leurs images et dessins.
« J’espère avoir été fidèle aux intentions des enfants », écrit-il avec mesure. Cheick Diallo, délégué général de la photographie des Rencontres de Bamako souligne l’intention de l’auteur. « Son thème et son sujet ont porté à polémique. Arnaud a des convictions, se tient à une éthique et il a suffi qu’un photographe étranger, blanc de surcroît, photographie la misère pour qu’on le voue aux gémonies. C’est pourtant loin de tout cela. Il est important de montrer les problèmes que cette société engendre ».
Le reportage d’Arnold Grojean conduit avec plusieurs associations sur place, et sur plusieurs années, raconte la violence du quotidien de ces enfants. Elle dit l’exploitation sexuelle des jeunes filles par leurs propres pères, les addictions vite ramassées, la folie qui peu à peu pénètre l’âme, jusqu’aux incendiés vivants par la vindicte populaire. Le catalogue de toute cette violence subtilise à ce quotidien leur réalité. L’énumération affaiblit, rend indolore et impalpable comme une statistique. L’image parfois vient se surajouter à cette violence et la rend irréelle. Il faut bien le temps de l’exposition pour retrouver le temps de cette réalité, les témoignages de ces enfants, leurs dessins innocents de cette violence et les portraits dignes d’Arnold Grojean pour ancrer dans la mémoire leurs visages.
Une exposition financée par l’Union européenne, avec le concours du Samu social, et de CISP.
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