Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Lors de mes passages aux RIP d’Arles 2021 un constat, pas uniquement lié à cette manifestation, m’est apparu évident à vous faire partager. Les Rencontres d’Arles ne sont directement en rien dans les motifs de cette chronique. Sauf que leur prestige met en exergue un phénomène mainte fois observé, depuis quelques années, dans de nombreux festivals internationaux, dans des expositions locales, dans de nombreux musées et dans quelques galeries assez peu professionnelles.
Cette mode est apparue, avec la démocratisation très souhaitable de l’accès à l’Art et aux créations contemporaines ; en assujettissant l’appréciation d’une œuvre à la « people mania » des auteurs et non plus à une perception de leur travail. Nous n’apprenons plus à se confronter à des œuvres, à en percevoir les attraits, à en ressentir des émotions, à en partager ou à en rejeter des messages ou des histoires. Nous ne passons plus un deuxième temps à en analyser les contours, en comprendre la construction, en décortiquer la synthèse, en situer le contexte. Si l’œuvre fait partie d’un travail d’ensemble cohérent nous devrions nous intéresser à la démarche , aux propos, à l’histoire et aux créations de son auteur qui alors prendra de l’importance par la qualité et par l’importance de son travail dans notre propre évolution.
C’était le Monde d’Avant, un monde ancien dans l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, plus personne n’a le temps d’attendre et de comprendre, il en est du domaine créatif, sous la pression financière, comme de l’ensemble de nos activités individuelles comme collectives. Tout doit être terminé avant même d’être commencé. Une exposition est programmée que la première photographie n’est pas encore à l’état d’embryon. Trois livres sont signés à l’édition que leur contenu est toujours dans les limbes. Personne n’a vu le travail qui à l’arrivée est souvent loin du résultat minimum attendu. Mais tout cela est sans aucune importance puisque l’auteur pressenti est une vedette connue et reconnue (pas toujours dans le domaine photographique) qui assume son auréole, en terme de médiatisation, pour ses prouesses pas souvent créatives. Nous l’avons tous compris, peu importe ce qui est présenté (ne généralisons pas car c’est parfois très bien !), l’essentiel c’est le personnage avec ses histoires personnelles, ses frasques et ses provocations (naturelles ou théâtrales) qui attire les foules qui se précipitent, s’agglutinent et s’esbaudissent pour pouvoir affirmer «j’y étais», lorsque cela ne dérape pas sur un «je le connais bien».
Ce n’est pas toujours mensonge car la pratique d’une reconnaissance (souvent plus qu’éphémère) est soigneusement encouragée dans les secteurs de la création à finalités artistiques par des producteurs et autres éditeurs ; mais, pour des raisons plus financières et/ou mercantiles.
J’ai insisté dans une précédente chronique sur le rôle essentiel de la scénographie et/ou de la mise en page pour une vraie mise en valeur et en contexte des œuvres. J’y déplorais la pauvreté, parfois l’indigence des présentations lorsque l’on tombait pas dans l’incompétence totale. Par contre, une nouvelle règle – quasi généralisée – détermine que dès l’entrée dans une exposition il est indispensable d’afficher la biographie du créateur (aussi détaillée que possible), une liste aussi longue que possible de ses multiples et insipides récompenses reçues, de ses résidences (devenues incontournables) et autres « workshops » ou mieux « masterclass ». Puis, il faut passer aux choses sérieuses avec une description par le menu – en termes abscons de préférence – des intentions des photographies exposées et, si possible, des impossibles et abracadabrantes conditions techniques de réalisation. Tout le monde comprendra que cette prose est généralement pondu par le commissaire d’exposition (sauf à ressusciter un auteur littéraire en perte de notoriété). Ce long encensement commence en limite du plafond pour se terminer au ras du sol. Lorsque vous avez terminé la lecture interminable des états et des prouesses de l’exposant, il est temps d’aller vous immerger dans son travail pour vérifier le bien fondé du texte. Enfin pas pour tout le monde, car j’ai pu malicieusement observer qu’un nombre non négligeable de visiteurs se limitait à la sainte lecture et abandonnait la partie avant d’abordé le second volet : la présentation des œuvres. Les jeunes sont un peu plus malins et s’empressent de « smartphoner » en deux ou trois fois la littérature. J’imagine qu’ils s’en délecteront tranquillement et à tête reposée (ce qui est souvent nécessaire à la compréhension).
La page d’introduction, nous l’appellerons comme cela, n’est pas la seule technique pour apporter une amélioration culturelle à tout un chacun et pour déifier quelques personnages bien en vue dans les étranges lucarnes d’Henri Jeanson ou sur les réseaux de la substitution affective.
La présence de l’auteur est un « must » pour l’organisateur, lorsque cela ne devient pas une obligation contractuelle pour que son travail soit proposé à la vue et à l’estimation du public. Dans ce domaine j’ai tout vu, tout entendu et tout savouré. En préambule, pour éviter toute mauvaise interprétation qui serait stupide, peu importe l’auteur son sexe, sa couleur, sa religion, son pays d’origine ou toute autre considération.
Le timide invisible qui reste dans un coin ou, mieux que cela, se mélange aux visiteurs et semble s’intéresser à ses propres photographies, il prend la couleur tomate lorsque quelqu’un le rattache à une image et ne sait plus ou se mettre si un compliment s’ensuit. Le pointilleux en recherche de reconnaissance qui va expliquer les tenants et les aboutissants pendant de longues minutes qui peuvent aisément durer des heures si un nouveau visiteur ne s’interpose pas dans le monologue. Le majestueux qui expose que l’Art est tombé dans son berceau en le couvrant de mille dons, dont il est submergés et dont il ne sait plus quoi faire, il va de soi que toutes ses photographies sont magnifiques sans lui coûter beaucoup de transpiration. Le curieux qui cache souvent l’inquiet qui l’angoisse au ventre pose une suite de questions à toutes les personnes à l’arrêt devant une de ses œuvres, souvent généreux les visiteurs assaillis se montreront plutôt bienveillants à l’égard de l’auteur. Le professeur qui vous expliquera par « a » plus « b » que son travail est parfaitement conforme et vous en fera une docte démonstration très aseptisée sans que le visiteur ne connaisse jamais ni le résultat de l’addition ni à quoi son travail est conforme. Le bourlingueur va regrouper fort habilement plusieurs visiteurs inconnus pour en constituer un groupe autour de lui qu’il emmènera traverser la planète d’Est en Ouest, du Nord au Sud et finira par regretter de ne pas pouvoir les entraîner dans l’espace. En résumé, peu importe ces personnages hauts en couleur et malheureusement peu importe également leurs travaux exposés, l’essentiel est leur présence sur place et, suprême honneur pour le visiteur, avoir pu leur serrer la main (ou leur donner un coup de coude par nos temps de pandémie), le Graal suprême restant la dédicace !
Enfin, cerise sur le gâteau, nos gentils organisateurs se font assister par une nouvelle profession : les médiateurs artistiques. Rien à voir avec les conférenciers diplômés à la connaissance encyclopédique. Ce sont très souvent des jeunes gens en recherche d’emploi qui sont formés en marche forcée pour déblatérer quelques anecdotes sur la vie de l’exposant et/ou sortir innocemment quelques inepties sur les œuvres accrochées aux cimaises. Cette activité devrait rapidement disparaître au profit de nos merveilleux smartphones qui vont tout nous conter dès que nous serons postés devant une photographie (ne riez pas nous commençons même à avoir droit au « making of » tant pour l’actualité de guerre que pour une pose corporelle).
Un conseil pour votre prochaine visite d’une exposition commencez votre circuit par la sortie …
Thierry Maindrault
13 août 2021
merci de vos commentaires à