Photographe autodidacte et opticien de métier, l’Américain Ralph Eugene Meatyard (1925 – 1972) achète son premier appareil en 1950 pour s’en servir dans un cadre familial. Très vite, ce loisir tranquille tourne à la passion. Tout au long des vingt-deux années qui suivent, il passe ses week-ends à sillonner la campagne autour de Lexington, dans le Kentucky, en compagnie de son épouse et de leurs trois enfants Michael, Christopher et Melissa. Ce sont eux qui deviennent son sujet de prédilection et il les photographie au bord de ruisseaux, en train de jouer dans les champs ou d’explorer des granges abandonnées. Ces clichés qui paraissent de nature ostensiblement familiale ne le sont pourtant pas, loin de là. Ici, l’enfant qui gambade dans la prairie est affublé d’un masque de caoutchouc grotesque, et là, la poupée gisant sur la grève d’un torrent bucolique est décapitée. Ralph Eugene Meatyard aborde ses images avec un humour sombre qui laisse un arrière-goût de malaise. Façonnées par son sens incisif du macabre, ses photographies étranges nous plongent dans une ambiance fantasmagorique et l’ensemble de son œuvre a influencé des générations d’artistes.
La DC Moore Gallery de New York héberge The Family Album of Lucybelle Crater, une toute nouvelle exposition d’œuvres signées Ralph Eugene Meatyard. Il réalise cette série sur les deux ans qui précèdent sa mort (survenue alors qu’il a 46 ans). Il la conçoit comme un « poème photographique », avec une séquence soignée et des légendes formant une sorte de fil narrateur.
La série est centrée sur Madelyn, la femme de l’artiste. On la voit tout d’abord mettre un masque de sorcière pour incarner Lucybelle Crater. Puis elle apparaît dans chaque image, aux côtés des autres personnages joués par les amis, voisins et enfants du photographe. Également surnommés Lucybelle Crater, ils portent un second masque, le visage translucide d’un homme très âgé. Par leurs postures, les sujets singent les photos de famille ordinaires : ils prennent la pose, bras dessus bras dessous, tout raides devant une maison, ou penchés à la hauteur d’un enfant. Mais avec leurs visages masqués et indéchiffrables, ils se muent en silhouettes énigmatiques et irréelles.
Le photographe s’est inspiré d’une nouvelle de Flannery O’Connor, The Life You Save May Be Your Own, pour créer le nom de son personnage Lucybelle Crater.
Ralph Eugene Meatyard : The Family Album of Lucybelle Crater
4 janvier – 3 février 2018
DC Moore Gallery
535 W 22nd St
New York, NY 10011
USA