Au cours de sa vie professionnelle, Raghubir Singh (1942-1999) a vécu à Hong Kong, Paris ainsi que Londres, et fréquenté assidûment la ville de New York. Il a malgré tout voué sa carrière à photographier son Inde natale, travaillant à l’intersection du modernisme occidental et des perspectives traditionnelles du sud asiatique. Il a trouvé des influences auprès d’Henri Cartier-Bresson, rencontré à Jaipur en 1966, et s’est lié d’amitié avec William Gedney, à qui il a dédié son second livre sur Calcutta – le parcours Bombay s’accompagne d’ailleurs d’une petite exposition du travail réalisé par Gedney en Inde). Singh a également voyagé et travaillé avec Lee Friedlander. On peut dire qu’il a été l’un des pionniers de la photographie couleur, à une époque où l’occident ne lui donnait pas bonne presse. Exploitant cette technique pour révéler l’intensité éclatante de la culture, des traditions et de la religion de son pays, il a réalisé un portrait de l’Inde au cours des décennies cruciales de sa métamorphose sociale et politique. Cette fresque est aujourd’hui considérée comme unique et inégalée.
Série de scènes de rue exposée à la Howard Greenberg Gallery de New York, Bombay palpite de compositions saisissantes et de couleurs employées avec une maîtrise tout à fait distinctive. L’assemblage se focalise sur l’un des pans majeurs du travail de l’artiste. Réalisé au début des années 1990, il a notamment servi de base pour son ouvrage Bombay: Gateway of India (Aperture, 1994). L’exposition a lieu en même temps qu’une rétrospective organisée du 11 octobre 2017 au 2 janvier 2018 au Met Breuer et intitulée Modernism on the Ganges: Raghubir Singh Photographs.
Singh a photographié la ville de Bombay à un moment décisif de la transition économique indienne. Capitale économique de l’Inde, la ville était devenue un symbole des profonds bouleversements qui s’étaient mis en marche à travers le pays tout entier. L’usage qu’il fait des reflets est une expression révélatrice de cette évolution. Son livre sur Bombay s’ouvre sur une conversation avec V.S. Naipaul, l’un de ses admirateurs. Singh évoque notamment l’ambiguïté et l’impression de mouvement générés par le verre et les miroirs présents dans ce travail. Naipaul lui disait à ce propos : « On ne peut pas tout absorber d’un seul coup. Il faut laisser son regard évoluer d’un centre à un autre, ce qui fait que l’image est en mouvement constant. C’est là l’une des vertus, des qualités de votre travail. À mon sens, avec de telles images, on n’a presque plus besoin de mots ».
Mia Fineman, curatrice adjointe au Metropolitan Museum of Art, écrit dans l’introduction au catalogue de l’exposition : « Les scènes de rues prises à Bombay par Singh bouillonnent d’une énergie nouvelle, comme si les éléments des images étaient maintenus en suspension par une force centrifuge. Les mains, les gestes et les regards tournoient autour d’un point central fixe, généralement ancré par un individu qui ignore délibérément l’objectif ou au contraire, le fixe avec un regard de défi. »
La Howard Greenberg Gallery accueille un parcours de vingt-sept images qui nous livrent les complexités de la ville, passant de scènes de misère sans fard à l’opulence extrême. Son appareil en main chargé de pellicules diapo couleur, Singh errait à travers Bombay pour capturer des instants d’intimité : un père au lit brandissant son fils nouveau-né, un homme en pleine réflexion à côté d’un autre, endormi sur un pas de porte, une adolescente pensive, le regard fixé sur l’objectif.
D’autres images concernent les traditions culturelles indienne, comme le festival des couleurs Holi, qui célèbre le retour du printemps. Ses participants se retrouvent fréquemment aspergés de poudres colorées et dans une photo prise en 1990, deux hommes sont couverts de pigment pourpre. À l’occasion du festival Ganesh Chaturthi, qui a lieu vers la fin de la mousson, le dieu à tête d’éléphant Ganesh est honoré et plongé dans la mer d’Arabie. Une photo de Singh datée de 1989 dépeint les festivités, son point focal étant une effigie géante de la divinité.
Raghubir Singh, Bombay
26 octobre – 9 décembre 2017
Howard Greenberg Gallery
41 E 57th St
New York, NY 10022
USA