Conversazione est une rencontre entre deux maîtres que tout semble opposer. L’un s’est épanoui grâce à la couleur quand le procédé balbutiait encore. L’autre a exploré inlassablement les stigmates du monde qui l’entourait à l’aide du noir et blanc. Et pourtant. Les travaux de ces deux purs produits de la photographie italienne se retrouvent dans une même lecture du paysage, des lignes et de l’abstraction. Giacomelli et Fontana nous rappellent qu’Edward Weston avait raison : “C’est stupide de dire que la couleur tue le noir et blanc. Ce sont deux différents langages qui ne peuvent pas se faire concurrence.” (Modern Photography, 1947)
Mario Giacomelli, né en 1925 à Senigallia, petite cité balnéaire de la côte adriatique, dans la région des Marches. Il y passera toute sa vie, consacrant aux paysages et aux hommes de son environnement immédiat la majeure partie de son travail. Nul besoin de voyager loin pour photographier. Son appétence pour la matière encrée et les contrastes lui vient de sa formation précoce de typographe et d’imprimeur. Nourrie par la peinture qu’il pratique depuis l’adolescence, sa photographie est gorgée de poésie et de nostalgie. Prophète en son pays, cet élève du groupe Misa, fondé par Giuseppe Cavalli, qui réunit dans les années 1950 des photographes italiens curieux du paysage, est très tôt repéré par les artisans précurseurs de la photographie. En 1967, John Szarkowski, conservateur du MoMA de New York, lui ouvre les portes des grandes collections muséales américaines.
En 1975, à bord d’un avion en direction de l’Espagne, Giacomelli immortalise la Terre à travers un hublot. C’est pour lui, une révélation. Il multipliera, dans les années qui suivront, ces clichés vus d’en haut, généralement à bord d’un petit avion publicitaire de plage. Giacomelli nous emmène à la rencontre des champs à perte de vue, labourés par la violence que l’homme inflige à la nature. Et ces machines qui laissent entrevoir, autour de quelques maisons écroulées, les cicatrices du travail au rythme des saisons. Une abstraction grinçante et graphique où le noir et blanc est poussé dans ses retranchements. La hauteur de prise de vue permet à l’auteur de supprimer le ciel que les plus pauvres, ceux qui gardent les yeux baissés et dont il a toujours voulu penser les plaies, ne voient pas. Dans les stigmates du paysage, ce sont eux qui nous sourient et nous saluent de la main.
“Je ne voudrais pas répéter les choses visibles, mais les rendre vraiment visibles.” Mario Giacomelli
Né en 1933 à Modène, en Italie, Franco Fontana a très tôt cassé les codes de sa génération, notamment en imposant la couleur en photographie, à l’époque sacrée du noir et blanc. Au jaune phosphorescent d’un ciel doré répond le noir d’une mer de plomb. Fontana est joueur. Ses palettes lumineuses et son appétit pour les lignes géométriques sont l’alphabet d’un langage dont il se sert pour éliminer ou sublimer ce qui doit l’être. Inspiré par les peintres Mark Rothko, Barnett Newman et Ad Reinhardt, mais aussi Paul Klee et l’Art informel d’Alberto Burri, Franco Fontana se joue — dès la fin des années 1960 et avec une facilité déconcertante — des codes de la publicité sous l’influence de l’expressionnisme abstrait et du minimalisme. Entre ciel et terre, avec la mer pour horizon, au cœur d’une ville colorée et décatie, les paysages du quotidien ressuscitent tout à coup tels des autoportraits.
“Nous ne photographions pas ce que nous voyons, mais ce que nous sommes, car nous ne dévoilons au monde que ce que nous portons en nous, et nous avons besoin du monde pour le découvrir et le restituer tel que nous voudrions qu’il soit.”
Dans cette exposition en forme de dialogue, la galerie Polka met côte à côte deux regards animés par la même ambition artistique : celle de promouvoir une forme de « photographie pure », sésame du voyage intérieur. A rebours de la vulgate qui ne veut retenir que l’abstraction dans leurs œuvres respectives, il faut rappeler que le réel compte bien pour ces hommes du concret. Il est présent, avec ses arbres, ses maisons, ses labours, ses rivages, ses reflets. Que la prise de vue soit spontanée ou calculée, Fontana et Giacomelli décontextualisent les étendues qu’ils ont sous les yeux. Sans lieu identifiable, sans orientation. Les lignes minimalistes et épurées qu’ils tracent avec la lumière, créent une géométrie singulière qui devient, par l’exposition, le fil rouge d’une conversation entre deux maîtres qui se parlent comme des amis.
Mario Giacomelli & Franco Fontana : Conversazione
du 8 septembre au 28 octobre 2023
Galerie Polka
12, rue Saint-Gilles, 75003 Paris
www.polkamagazine.com
www.polkagalerie.com
www.polkafactory.com
2 livres par Franco Fontana ont été récemment publiés aux Éditions Contrejour.
Franco Fontana : Paris
Éditions Contrejour
Texte de Jean-Baptiste Gauvin
Format : 20 x 26 cm
72 pages
Prix : 35 euros
Franco Fontana : Skyline
Éditions Contrejour
Format : 21 x 27 cm
80 pages
Prix : 30 euros