Jonas Tebib et Lionel Charrier sont les nouveaux directeurs du festival Planches Contact. Un nouveau chapitre dans l’histoire du festival deauvillois. Entretien.
Jonas Tebib et Lionel Charrier, vous êtes tous deux les nouveaux directeurs artistiques du festival Planches Contact. Pourquoi une direction bicéphale ?
Jonas Tebib : C’est avant tout la réunion de deux réseaux photographiques, de deux connaissances complémentaires de la photographie, de la confrontation de deux regards. Je viens du marché de la photographie. Tandis que Lionel, rédacteur en chef de Libération, connaît davantage le festival, son personnel, son histoire.
Lionel Charrier : C’est vrai qu’on est complémentaires. Je viens de la photographie documentaire, de presse. Et par ailleurs je suis membre du jury du Tremplin Jeunes Talents depuis 2019 et l’arrivée de son ancienne directrice artistique Laura Serani. Ce festival a pour moi une spécificité particulière : ses expositions sont issues presque exclusivement de résidences. Et cette particularité demande à être appuyée. Il y a bien sûr d’autres festivals avec des résidences, mais en ce qui concerne Planches Contact, c’est son ADN. L’idée est donc de continuer ce qui a été entrepris par Laura Serani. Elle a donné une autre dimension au festival, elle a fait venir des partenaires de renom, comme la Fondation Photo4Food, elle a professionnalisé le festival et chaque année – et je l’ai vu en tant que membre du jury – celui-ci a progressé. Et l’ouverture des Franciscaines en 2020 a donné un élan supplémentaire au festival. Tout d’un coup, il y avait un lieu extraordinaire aux normes muséales pouvant accueillir de grandes expositions. Un lieu à la fois musée, médiathèque, mais jeune, ouvert il y a seulement quatre ans, et qui va grandir avec sa programmation future.
Jonas Tebib : Le festival existe depuis 2010 et a accueilli de grands photographes comme Lise Sarfati, Massimo Vitali, Charles Fréger, Paolo Roversi…. Le très bel écrin des Franciscaines, ancien cloitre réhabilité majestueusement en lieu multi-culturel, permet de montrer des tirages photographiques, dans des conditions muséales. Les Franciscaines nous donnent aussi la chance de présenter des objets photographiques rares de collections privées. Le Festival continue par ailleurs sa volonté d’exposer dans la ville et sur la plage.
Lionel Charrier : Un des enjeux de notre prochaine édition est d’affirmer encore plus que nous sommes un festival basé sur la résidence photographique. Notre rôle aussi est d’accompagner les photographes, aussi bien les renommés que les émergents. Ces résidences sont articulées autour de quatre périodes. Les photographes sont accompagnés par une équipe qui les aide, les oriente, les emmène à des endroits tout autour de Deauville, leur ouvre des contacts. Il existe une vraie logistique du festival pour aider les photographes à produire.
Jonas Tebib : Indéniablement, Planches Contact a une particularité forte : son rapport au territoire. Bon nombre de festivals se font simplement autour d’une programmation, d’une sélection de noms sans encrage avec leur territoire. C’est tout l’inverse avec Planches Contact, qui peut se targuer d’avoir un enracinement fort dans le territoire, un public qui se l’est approprié, au fur et à mesure des années. L’année précédente, ce n’étaient pas moins de 400 candidatures pour les résidences, et pour ceux retenus, des projets qui ont toujours creusé le territoire normand – et qui permettent à ceux qui y vivent de le découvrir, de s’en faire un autre regard. C’est un des objectifs de la Mairie de Deauville que de créer une mémoire du territoire, non pas scientifique, mais photographique, ou sensible.
Comment renforcer cette visibilité des résidences dans les prochaines années ?
Jonas Tebib : Il nous faut croiser certains réseaux, certains artistes, galeries, qui ne connaissaient pas ou peu le festival. Ouvrir le festival à de nouvelles manières de montrer la photographie, comme le font par exemple les jeunes galeries Thierry Bigaignon, Clémentine de la Ferronnière et Jean Kenta Gauthier. Il faut donner envie aux artistes, comme à ceux qui les entourent, de s’intéresser au festival, de franchir la porte des Franciscaines. Le festival va également changer dans sa communication. Le Prix Tremplin Jeunes Talents va devenir le Prix de la jeune création photographique, ce qui permet de mieux l’identifier.
Lionel Charrier : Les résidences du festival sont en partie incarnées par la Villa Namouna, qui accueille pratiquement tous les photographes. C’est un lieu qui doit devenir plus central dans le festival. Un lieu unique, une maison collective avec dix chambres à la créativité incroyable. Le poumon du festival se trouve là ! Je me souviens que Françoise Huguier y était très contente d’aider de plus jeunes photographes, de leur donner des conseils d’editing. Tandis que Nikos Aliagas y était venu, en simple photographe, simplement heureux d’être là. Nous devons rendre visible ce lieu, y faire des événements, sentir cet esprit.
Vous soulignez un écueil important qui est de transformer Deauville, principalement une ville de villégiature, en destination photographique – un travail dans le prolongement de la direction de Laura Serani.
Jonas Tebib : Depuis plusieurs années la ville a construit une politique culturelle très audacieuse et nous nous inscrivons dans cette vision. En structurant les nouvelles éditions du festival autour d’un thème, nous espérons créer une ligne directrice plus claire pour le visiteur.
Lionel Charrier : Arles demeure un bon exemple de lieux investis et transformés, qui ont ouvert le festival à de nouveaux horizons. Deauville est peut-être plus construite, moins en friche, mais il demeure des lieux qui ont une vraie écriture architecturale. Au-delà des lieux et des expositions, il y a aussi un travail à faire sur les scénographies des expositions, et plus largement sur les lignes et la lumière du territoire. Les artistes le voient tout de suite en arrivant ! Pour revenir sur le public du festival, il se divise majoritairement en deux ensembles : un public local et un public de résidences secondaires, majoritairement parisien. Pour le second public, Deauville demeure un lieu de passage, mais pour tous, le festival représente un lieu d’ouverture d’esprit, de flâneries.
Planches Contact peut-il se déployer dans la région normande, avec comme point de rayonnement Deauville ?
Jonas Tebib : Un festival existe par ses collaborations. Il y a tout un ensemble d’acteurs en Normandie avec qui il faut se lier, penser un travail sur les fonds et les collections, y accompagner les artistes – que ce soient Caen, Rouen, Le Havre, Giverny.
Lionel Charrier : Laura Serani avait proposé en 2019 à Paolo Woods de confronter les archétypes de Trouville et de Deauville, et « passer le pont » était déjà incroyable. Libération [où officie Lionel Charrier comme Rédacteur en chef de la photographie] en avait tiré un diapo, pour soutenir cette politique d’ouverture. Le festival est en pleine expansion et nous voulons poursuivre cette dynamique. Avec Jonas, nous souhaitons a la fois renforcer la particularité territoriale des expositions mais aussi ouvrir sur la possibilité de résidence hors les murs.
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