La galerie Yossi Milo de New York expose 1994, dernière série du photographe sud-africain Pieter Hugo. Se référant au génocide rwandais comme à la fin de l’Apartheid, la série brille par son équilibre. Le regard poétique et détaché de l’artiste met en lumière une génération d’enfants et d’adolescents pris dans la douleur inconnue du passé et les interrogations du futur.
Son étude de saltimbanques itinérants au Nigéria (The Hyena & Other Men, 2005-2007), les revers et désenchantements de l’industrie cinématographique nigériane (Nollywood, 2009) ou encore sa plongée dans l’enfer enfumée d’une décharge à ciel ouvert au Ghana (Permanent Error, 2001) montrait chez Pieter Hugo une volonté d’affronter frontalement les problèmes socio-économiques des territoires africains. Du moins sa photographie enregistrait remous et reflux de vies luttant à corps donné dans un environnement politique. Aussi se pose-t-on la question : La photographie de Pieter Hugo serait-elle doucement militante ? Lire sa photographie n’est-elle pas influencée par notre connaissance d’un contexte, d’une histoire, de l’Histoire ? En somme, comment s’abstraire de la connaissance pour considérer d’un autre œil sa photographie ?
À première vue, 1994 ne nous facilite pas la tache. Le choix des sujets est équivoque : de jeunes enfants et adolescents nés après 1994, vivant dans le souvenir d’événements traumatiques tout en ne les ayant pas vécu. Une génération de l’après, appelée aux devoirs de mémoire, dans le souci espéré de porter le renouveau. Le regardeur peut comprendre cela au premier coup d’œil. Ces enfants sont comme porteur d’une historicité qui leur échappe. On devine l’ambivalence de leurs regards naïfs parmi les hautes herbes des collines du Rwanda ; celles-là même qui virent les massacres se perpétuer. C’est y déceler aussi un parallèle : nature, bonté, innocence face à l’incertitude de leur avenir. De l’aveu même du photographe, il y a comme la volonté de mettre en valeur une génération saisie par des enjeux autrement plus grands.
Et pourtant, il résonne en chacun de ces photographies une petite musique rassurante. Détachée de toute lecture sociale, la série tire aussi sur la corde du sensible. L’harmonie des couleurs, leurs contrastes pastel, le choix du cadrage comme de la place du photographe montre un regard détaché et presque aimant. Les inquiétudes se taisent, l’attachement demeure. Est-ce là le regard d’un photographe devenu père ? Est-ce l’interprétation d’une plume trop émotive ? Est-ce encore un je-ne-sais-quoi ému par l’ensemble harmonieux ? Allez savoir ! La couleur, très surement, joue pour beaucoup. Les bruns terreux et beiges s’équilibrent (Portrait #7 et Portrait #12), les verts bien naturels se fardent de rose fuschia (Portrait #3 et Portrait #9), la gamme des jaunes et blancs scintille (Portrait #14, Portrait#16, Portrait #18) comme une nacre étoilée. La série est aussi réussie par l’union de ses tons et teintes !
Une lumière douce gagne l’ensemble de ses portraits ; rayons naturels rappelant l’ambiance lyrique de l’œuvre de Terrence Malick. Il y aurait là un parallèle à creuser. Arrêtées ou en mouvement, leurs images font le choix d’une narration sensible ; leurs images parlent, les émotions priment. On ressent, ensuite on comprend. Que soit le photographe sud-africain ou le cinéaste américain, chacun fait le choix de la subtilité et de la douceur pour interroger et l’Histoire et les Hommes.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à New York, aux Etats-Unis.
Pieter Hugo, 1994
Du 26 Janvier au 11 Mars 2017.
Yossi Milo Gallery
245th 10th Avenue
New York, NY 10001
USA