Il y a bientôt 30 ans, un matin d’août, la police du 16e arrondissement découvrait le corps d’un joggeur. Il n’avait pas de papiers sur lui et ce n’est qu’après trois jours qu’il fut identifié. Il s’appelait Pierre Houlès. Il avait 40 ans. Il était l’un des plus flamboyants et séduisants photographes de sa génération. C’est lui qui, au milieu des années 60, avait ouvert le chemin de l’immigration des photographes français à New York. C’est lui qui, complice de Jean-Paule Goude, l’accompagnait comme metteur en images dans ses premières années. Quasiment personne aujourd’hui ne connaît Pierre. Nous sommes quelques-uns de ses amis à nous en souvenir. Alors, quand Claude Guillaumin a convaincu la Galerie Myriam Bouagal de l’exposer, nous avons décidé de lui consacrer cet hommage. Nous t’embrassons.
Jean-Jacques Naudet
J’ai connu Pierre en 1964 pendant notre service militaire à l’Etablissement cinématographique des armées du Fort d’Ivry, situé à Paris. Pierre était au service photo et moi au service projection. Nous sommes rapidement devenus copains, et le soir nous sortions ensemble dans Paris et dormions chez nos parents. Pierre était déjà assistant photographe et moi je me destinais à être architecte.
Comme mon travail quotidien se limitait à deux heures, plus une heure à célébrer les bienfaits du Martini avec l’adjudant chef, je passais le reste de la journée au service photo avec Pierre Henriot ou Jacques Denarnaud. Pierre Houles et d’autres camarades. Je découvrais la photo et elle me passionnait de plus en plus.
A la fin du service militaire, et après quelques mois entre stages photo et soirées festives, Pierre, très convaincant, m’expliquait que les plus grands photographes étaient à New York :
– que c’était le meilleur moyen d’apprendre,
– que lui voulait y aller
– que ce serait bien que je l’accompagne
Sa sœur Valérie, vivant à New York nous a trouvé une sous-location de quelques mois 54th St et 6th Av.
Le 7 février 1967, nous avions le « non-immigrant visa » et partions à la découverte de New York.
Sans Pierre, je n’aurai pu devenir photographe.
Sa sœur s’occupait de nous comme elle le fit par la suite avec d’autres, (photographes ou coiffeurs), ce qui nous donnait un sentiment de sécurité. Nous étions jeunes et de plus, le contraste, à l’époque, entre Paris et New York était un choc beaucoup plus fort qu’aujourd’hui. Les médias véhiculent des images et des infos sur le monde qui nous donnent l’impression de déjà-vu quand on est confronté à la réalité et l’effet de surprise diminue.
New York nous a accueillis avec générosité et avec l’assurance qu’en travaillant dur, on pouvait gagner. New York vous propulse vers le haut ou vers le bas.
Par rapport à l’agitation ambiante, Pierre était une exception, il menait une vie tranquille et organisée, prenant son temps à observer la vie autour de lui, lisant les journaux tous les jours, se tenant informé de tout ce qui se passait en ville. C’est lui qui programmait les sorties du week-end — concert, expo, musée, plage, manifestation contre la guerre du Vietnam, ou pour la légalisation de l’usage de la marijuana, jeu de frisbee à Central Park… Il proposait et l’on suivait.
Après les quelques mois passés 54th St, nous sommes descendus downtown vers la 20e rue et ses loyers plus abordables. Période un peu galère entre colocs et chambres à la semaine au Gramercy Park Hotel, et appareil photo au « pawn shop » (prêteur sur gage) pour payer le loyer.
J’étais deuxième assistant à temps complet et gagnais $ 50 par semaine. Pierre était assistant freelance et gagnait plus, étant payé à la prestation. Pierre n’était intéressé ni par la gloire ni par l’argent.
Nous avons connu Isi Veleris qui avait son propre studio sur Park Avenue South, que nous avons squatté pendant des années. Après une enfance au cours de laquelle il a vu ses parents rejoindre les camps de concentration, il a émigré aux Etats-Unis, avec une modeste pension du gouvernement allemand. Peut-être est-ce là l’une des raisons de sa générosité et de son humilité. Concernés ni par la gloire ni par l’argent, nous étions quelques-uns, comme les artistes que nous avons côtoyés le soir chez Max’ Kansas City, Chamberlain, Warhol, Ultra Violet, Jim Morrison… à avoir simplement l’envie d’exister et de s’exprimer.
Puis en 1969 j’ai travaillé pour Glamour et Pierre assistait régulièrement Bill Silano pour Harpers Bazaar, l’argent commençait à rentrer et nous avons emménagé au Carnegie Hall. Bill Cunningham nous a sous-loué l’un de ses deux studios, le 1215, que l’on payait $ 90 chacun.
Le Carnegie Hall était un petit monde car très peu de gens y habitaient. Antonio Lopez et Juan, Art Kane, Edita Sherman et son studio photo, et Bill Cunningham circulant en vélo dans les couloirs, dans lesquels on croisait des danseuses, des mannequins… Attenant à la salle de concert, il y avait des cours de danse, de théatre, de chant, des studios de photos, des peintres… Une dynamique artistique. Ce fut le début d’une période facile, agréable, passionnante par la quantité d’événements autour de nous.
1969 : l’homme sur la lune, qui vu de New York surprenait à peine, tant d’événements se passaient, la libération sexuelle, les festivals de musique à Central Park, Woodstock qui n’était pas le plus réussi, météo en cause et bien d’autres encore dans les environs de New York.. Pierre devint copain avec Antonio et Jean-Paul Goude alors associate editor à Esquire avec Jean Lagarrigue. Pierre fit de nombreuses photos pour Antonio et pour Esquire, fréquenta beaucoup le milieu hispanique de la bande d’Antonio et la boxe qui le passionait.
Antonio était toujours entouré de mannequins qu’il utilisait pour ses dessins : Dona Jordan, Jane Forth, Cathee Dahmen, Jerry Hall et bien d’autres. Nous faisions quelques escapades à Paris pour retrouver les plaisirs de la table et les amis.
Vinrent se joindre à nous d’autres français, photographes, coiffeurs, maquilleurs. Des amis : Patrick Demarchelier, Mike Reinhardt, Duc, Jean Creuse, Gilles Bensimon, Jacques Davis, Guy Bourdin, Guy Le Baube, Andre Carrara, Louise Despointes, Viviane Fauny, Christe Brinkley et j’en oublie, qu’ils me pardonnent.
D’ou le nom de « French Mafia » dans le petit monde de la mode.
Je ne peux malheureusement pas vous citer les conquêtes féminines de Pierre, car la liste est trop longue et je n’en connais qu’une infime partie.
Puis nos différentes directions professionnelles nous ont séparés, mais tous nos souvenirs communs restent présents.
Claude Guillaumin
EXPOSITION
Life’s too short
Jusqu’au 21 juin 2014
Myriam Bouagal Galerie
20, rue du Pont-aux-Choux
75003 Paris
http://www.myriambouagalgalerie.com
http://www.claude-guillaumin-photo.book.fr