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Pierre Gély-Fort – Extrême Far East

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La 3ème édition du Luxembourg Street Photography Festival qui se tient du 2 au 5 mai 2019 aux Rotondes, accueille Pierre Gély-Fort pour une conférence & une signature autour de son dernier livre « Extrême Far East » le samedi 4 mai de 13h30 à 14h30.

Photographe et créateur de livres, ayant la particularité de créer des univers visuels, chromatiques, je poursuis mes voyages par le biais de livres que je mets en page et conçois.

Sans texte ni légende, les lieux ne sont qu’un prétexte pour une expression artistique, hors d’une narration traditionnelle documentaire ou photo-journalistique. Je présente mes errances et mes rencontres au fil des pays avec une émotion du regard où le dialogue est sous-jacent.

De ces errances géographiques le spectateur / lecteur y lit un imaginaire singulier, une empathie et une tendresse envers les personnes photographiées et une mise en scène du réel.

L’assemblage, les jeux de correspondances et la scénographie construits de ces instants photographiques font dialoguer les images entre elles et créent une proximité avec le sujet.

Pourquoi le Japon ?

Jusqu’en 1868 la société nipponne reste volontairement isolée dans son archipel.
À partir de cette, date elle s’ouvre réellement au monde sous la restauration de Meiji en faisant venir des experts occidentaux en grand nombre. Sitôt sa modernisation réussie, elle les met à la porte.
Toujours fermé aujourd’hui, le Japon a accepté seulement vingt demandes d’asile en 2017 sur près de vingt mille demandes déposées, d’après le ministère nippon de la justice.
Cette société extrêmement moderne et à la fois extrêmement conservatrice de ses traditions ancestrales me fascine depuis toujours.
Photographiquement, c’est aussi un challenge personnel : arriverais-je à contourner les côtés exotiques, kitsch et les photos touristiques de Kyoto et sa région ?

Le diptyque est-il un révélateur de contradictions ?

Oui, mais pas seulement. Il révèle également des contrastes, des équivalences, des conflits et des récurrences.
Dans le cadre d’une série, ou plus largement à l’intérieur d’un livre-récit photographique, le diptyque double-page sans texte ni légende interagit aussi avec les séquences précédentes et suivantes.
John Berger, penseur de la photographie, analyse cette « énergie du montage » dans ce type de récit visuel : « Cette énergie ressemble fortement au stimulus qui voit un souvenir en déclencher un autre, sans considération de hiérarchie, de chronologie ou de durée. »

Espace / confinement, modernité / tradition, solitude / foule. Pensez-vous que votre série apporte une vision de cette société ?

La série est issue de mon livre du même titre. Elle apporte une vision forcément parcellaire et surtout très personnelle : la perception/sensibilité visuelle d’un photographe français dont le travail s’inscrit dans l’instantané, ignorant les codes et le(s) language(s) de cette société. Reste, au retour, la frustration sensorielle d’un Occidental qui s’est penché sur le cœur d’un volcan… tout en restant au bord.

Le masque, sous diverses formes, est très présent dans vos photographies. Pourquoi ?

Reflet de la société japonaise et reflet de la pensée japonaise, peut-être. Masque = Face. Il s’agit de la différence existant entre une pensée “personnelle” et une position “de façade”. Ces deux aspects de la pensée sont désignés en japonais par Honne (本音) et Tatemae (建前). Le port du masque signifie-t-il cette position « de façade » ? On peut l’imaginer.

Peut-on dire de vos photographies qu’elles sont des mises en scène ?

Complètement ! Et ce, même si mes photographies sont prises sur le vif, au hasard d’errances sans itinéraire ni sujet préétablis, et sans aide extérieure (fixeur ou autre).

Le choix du cadre et du hors cadre, la décision de déclencher à un moment précis et enfin l’editing sont des actes de mises en scène.

La narration visuelle d’une série ou d’un livre de photographie est exclusivement une mise en scène à mes yeux.

Peut-on parler d’élégance et à la fois de violence muette dans votre série ?

C’est toute l’ambiguïté de cette culture où l’individuel s’efface pour le collectif … en silence ! Principalement dans cette série réalisée dans le monde nocturne et reclus de Gion, le quartier des geishas à Kyoto.

L’Occidental percevra le glissement silencieux et élégant de ces femmes le long des rues pavées, allant d’un rendez-vous à l’autre dans les maisons de thé. Dès l’âge de quinze ans ans, ces femmes sacrifient leurs vies au nom de cette culture ancestrale. Les scènes colorées d’ombres et de lumières où évoluent les personnages de la série créent des atmosphères tantôt chaudes et sensuelles, tantôt froides et inquiétantes. L’Occidental y verra là une violence muette.

Il y a une solitude exacerbée dans cette série. Est-ce volontaire ? Pourquoi ?

La solitude « transpire » sur presque chaque image. Sa présence, comme un arrière-plan dans la société nipponne, révèle probablement l’autre côté de la médaille du collectif : l’individu s’efface, s’isole et finalement reste seul face au collectif et à ses codes rigides.

Votre travail a quelque chose de cinématographique. Pourquoi avoir choisi «l’image arrêtée» ?

L’explication de « l’image arrêtée » par John Berger éclaire ce choix délibéré :

« Étonnamment, une photo est le contraire d’un film. Les photos sont rétrospectives et reçues comme tel, les films sont anticipatoires. Face à une photo, on cherche ce qui était là. Au cinéma, on attend ce qui va arriver. Toutes les narrations cinématographiques sont, en ce sens, des aventures : elles avancent, elles arrivent. Le terme « flashback » reconnaît l’impatience inexorable du film d’aller de l’avant.

Par contre, s’il y a bien une forme narrative intrinsèque à la photographie immobile, elle cherchera ce qui est arrivé, comme le fait la mémoire ou la pensée. »

L’image arrêtée apporte à mon sens l’émotion de l’expérience au spectateur. Il suffit d’observer dans une galerie d’art comment un passionné, collectionneur ou pas, est « habité » émotionnellement face à l’image qu’il affectionne. Une relation unique se crée qui unifie le spectateur, l’émotion de l’image et l’artiste auteur de la photographie.

Comment se « construisent » vos diptyques ?

Difficile d’apporter une réponse structurée à votre question. Sachant que finalement, ce n’est qu’une question d’émotion et de sensibilité qui m’amène à dire « Ça y est, le mariage semble fonctionner ! ». Plus concrètement, cela nécessite de longues et multiples séances à regarder, à comparer, à associer les images retenues avant de trouver le couple harmonieux. La colorimétrie, la lumière, la géométrie et la distance par rapport au sujet dans les deux images doivent aussi être cohérentes avec l’émotion recherchée.

Pourquoi avoir choisi la photographie ?

La décision pour ce mode d’expression artistique s’est prise suite à ma rencontre avec Agathe Gaillard. La lecture d’un trait de son livre autobiographique « Mémoires d’une Galerie » m’incite à pousser sa porte en mai 2015 pour faire sa connaissance.

Agathe Gaillard, plusieurs fois par semaine, me plongeait dans l’univers de la photo d’art. Cet univers qu’elle souhaitait bientôt quitter après 42 ans d’activité me fascinait toujours plus à chacune de nos rencontres.

En septembre 2016, je me décide enfin à lui montrer fébrilement quelques-unes de mes photos. Corps raidi, visage grave, regard concentré et, sans un mot, elle parcourt rapidement les images, me tourne le dos pour aller s’asseoir, puis lève la tête en me disant : « Bon, maintenant, Pierre, il faut y aller ! ».

Je suis monté en haut du plongeoir, et j’ai sauté !

 

Pierre Gély-Fort – Extrême Far East
May 2, 2019 to May 5, 2019
Luxembourg Street Photography Festival
 Place des Rotondes, 2448 Luxemburg

https://lspf.streetphoto.lu

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