La question de la diffusion de la photographie a été l’une des principales préoccupations de Pierre de Fenoÿl à une époque où peu de moyens étaient mis à la disposition des photographes pour faire circuler et connaître leur travail. « Le paradoxe de la photo créative des années 80 en France est d’être invisible » disait-il.
C’était avant internet, l’exposition et l’édition classique étaient les principaux vecteurs de diffusion possible d’une oeuvre. Or il les jugeait tout deux insatisfaisants – trop rare, trop coûteux, pas assez mobile – pour rendre compte de manière dynamique de diversité de la création photographique contemporaine. C’est la raison pour laquelle il avait créé en 1985 la Multiplication Photographique, une association dont le but était de faciliter l’édition de portfolios d’artistes – ou « Albums-exposition » – au moyen de la phototypie.
Partant du principe que l’essence même de la photographie est sa reproductibilité, il souhaitait encourager ses contemporains à ne plus considérer le tirage original – trop rare – comme le seul support digne de considération, mais plutôt comme un intermédiaire indispensable à la création photographique, dont la vocation serait ensuite d’être reproduit. «Ce n’est pas l’original qui assure la diffusion mais la multiplication. Le photographe doit donc admettre que son travail est achevé non lorsqu’il est exposé mais lorsqu’il est multiplié. ». Les multiples photographiques seraient dans cette optique « l’une des voies les plus constructives pour l’avenir de la photographie ».
La phototypie respectait pour lui l’identité photographique de l’objet tout en rendant possible une micro-édition, inenvisageable dans les conditions classiques d’impression. « L’artiste aura enfin en main les outils pour la réalisation d’un cycle véritablement photographique. Avec sa création, il pourra fabriquer un « objet-photographique » ».
L’engagement de Pierre de Fenoÿl dans l’aventure de la Multiplication Photographique n’a pu se déployer que sur deux années avant sa mort brutale. Deux ans qui ont permis à quelques portfolios de voir le jour mais n’ont pas suffit à développer le projet dans toute sa dimension.
Il n’en reste pas moins que sa réflexion sur le statut de l’objet photographique et les conditions de sa transmission font écho à des questions contemporaines et doivent être prises en compte aujourd’hui dans l’approche de son œuvre et de sa diffusion.
Pierre de Fenoÿl accordait bien évidemment un soin tout particulier à l’étape du tirage. Travaillant uniquement une photographie en noir-et-blanc, il y voyait un moyen de d’être au plus proche de l’écriture de la lumière, dans toute la richesse et la subtilité de sa gamme qui mène du noir au blanc. « Cette gamme est le chemin qui mène au temps ». Sans artifices, le tirage témoigne également de sa quête artistique.
Après quelques collaborations – chez Picto, Plublimode, mais plus particulièrement avec Yvon Le Marlec -, c’est à son épouse Véronique, qu’il avait confié le soin de tirer ses photographies. « J’ai pris un grand plaisir à cet exercice confie-t-elle. Il avait « vu », et la lumière recherchée était déjà là sur le négatif. Aussi la traduction n’était pas très problématique. Les papiers de l’époque, riches en argent, donnaient des noirs profonds à coté desquels gazouillaient toutes les nuances de gris et les lumières brillaient. Il insistait sur la densité, parce que la qualité des noirs entrainaient la révélation des lumières. Aujourd’hui, nous avons plus d’efforts à faire lorsqu’il s’agit de tirages argentiques. »
C’est encore elle aujourd’hui qui supervise toute la production des retirages, réalisés par Guillaume Geneste au laboratoire La chambre noire. Le travail qu’ils mènent ensemble dans le plus profond respect de l’œuvre est en continuité avec le travail réalisé à l’époque dans le laboratoire « familial ». Seuls les supports – papiers notamment – évoluent, et avec eux l’envie de rechercher dans les moyens contemporains – tirages numériques, impression jet d’encre – d’autres expressions possibles, comme l’avait fait Pierre de Fenoÿl avec la phototypie. Il s’agit pour l’instant de projets tant il est délicat de mener à bien une recherche lorsque l’artiste n’est plus là.
L’essentiel, si l’on veut rendre hommage à la mémoire de Pierre de Fenoÿl, est de ne pas oublier qu’il écrivait que « le bonheur photographique passe par sa reproduction ». La richesse d’une œuvre photographique peut s’exprimer de diverses manières, pour autant qu’elle soit vue, ce qui reste l’enjeu principal : donner à voir. Ce sera l’une des missions du fonds de dotation Pierre de Fenoÿl, tout juste créé cette année.
INFORMATIONS
Fonds Pierre de Fenoÿl
27, rue Saint-Dominique
75007 Paris
France
[email protected]
http://www.pierredefenoyl.fr
EXPOSITION
Pierre de Fenoÿl (1945-1987). Une géographie imaginaire
du 20 juin au 31 octobre 2015
Jeu de Paume – Château de Tours
25 avenue André Malraux
37000 Tours
France
Tél. : 02 47 21 61 95
Horaires : du mardi au dimanche
de 14h à 18h
Entrée gratuite
http://www.jeudepaume.org
A VENIR
Pierre de Fenoÿl Paysages conjugués
du 5 septembre au 31 décembre 2015
Galerie Le Réverbère
38 Rue Burdeau
69001 Lyon
France
Tél. : 04 72 00 06 72
http://www.galerielereverbere.com
LIVRE
« Pierre de Fenoÿl. Une géographie imaginaire »
Textes de Virginie Chardin, Jacques Damez, Peter Galassi.
Éditions Jeu de Paume / Xavier Barral.
240 pages, format 24 x 28 cm à la française
144 photographies et illustrations
Prix : 50 euros.
ISBN : 9782365110730
http://exb.fr