Le 6 mai, Petapixel a publié un article sur Steve McCurry et certaines de ses photos, accusées d’avoir été retouchées numériquement. L’article a suscité une vague de commentaires sur Facebook et d’autres réseaux sociaux, quant à la pertinence ou non de retoucher des photographies documentaires.
L’article de Petapixel faisait suite à un post sur le blog du photographe italien Paolo Viglione, qui avait visité l’exposition de Mc Curry au Venaria Reale, à Turin. Viglione avait pointé du doigt une erreur Photoshop sur une photo représentant une rue de Cuba, où une personne avait été replacée. D’autres ont ensuite posté sur les réseaux sociaux plusieurs photos de McCurry qu’ils soupçonnaient d’avoir été retouchées, sur lesquelles des gens avaient été supprimés et certains éléments d’une rue modifiés.
Les commentaires se sont multipliés et le ton est monté. Certains ont déclaré que la pratique de McCurry était une insulte absolument scandaleuse au photojournalisme. D’autres ont jugé que la photo en question ne posait aucun problème puisqu’il s’agissait d’une création personnelle, que Mc Curry décrivait dans sa réponse à Petapixel comme « de l’art ». Membre de l’agence Magnum, McCurry est pourtant l’un des photojournalistes les plus reconnus dans le monde, dont on attend par conséquent de ses photos qu’elles montrent la réalité telle qu’elle est.
Définir ce qu’est la vérité est une tâche complexe. En tant que photojournaliste, Peter van Agtmael, également membre de Magnum, a souligné dans un article d’opinion pour TIME écrit en réponse à l’affaire McCurry, que la vérité des uns était différente de celle des autres. Elle dépend de l’environnement culturel, ainsi que des convictions politiques et personnelles de chacun. Toutefois, dans la limite des faiblesses de la nature humaine et des impératifs commerciaux des médias privés, on attend des photojournalistes professionnels qu’ils respectent les principes journalistiques de leur profession.
Comme le déclare le Code Éthique de la National Press Photographers Association, le rôle d’un « journaliste visuel » est de présenter une « description fidèle et complète du sujet en jeu… pour attester d’une société et préserver son histoire au moyen des images. » Les nouvelles organisations et agences photos ont leurs propres codes, qui incluent des canons stricts interdisant de manipuler les images. Les organismes comme World Press Photo font également leur possible pour respecter les principes du photojournalisme, en imposant des règles strictes dans leur compétition annuelle.
La retouche a existé dès la naissance de l’art photographique ; même certaines photos parmi les plus iconiques de l’histoire ont été retouchées. Le pouce de la « Mère migrante » de Dorothea Lange posé sur le piquet de la tente a été supprimé dans la chambre noire. Selon James Curtis dans son ouvrage Mind’s Eye, Mind’s Truth : FSA Photography Reconsidered, la mère a tendu son bras pour saisir le piquet de tente, afin de se stabiliser et de mieux tenir son bébé. Pour lui, supprimer le pouce permettait à Lange de montrer la mère comme moins apte à subvenir aux besoins de sa famille et plus « pétrie d’angoisse ».
On pourrait répondre à cela que puisque la « Mère migrante » de Lange répondait à une commande de la Farm Security Administration, la photo n’était pas à proprement parler du photojournalisme. Celle-ci et d’autres prises au même moment ont pourtant été largement utilisées dans la presse. Peut-on considérer comme acceptable que la photo de Lange ait été retouchée? Est-ce important que la modification ait altéré le message de la photo au point de lui faire dire ce que souhaitait l’instance commanditaire ? Le fait que cette photo intégrait une campagne destinée à améliorer les conditions de travail des travailleurs itinérants excuse-t-il la retouche ?
Si le public des années 1930 était très peu au fait des procédés photographiques, les spectateurs d’aujourd’hui sont tout à fait conscients des possibilités de retouche : cela influe sur leur scepticisme quant à l’aptitude des médias à dire la vérité. De fait, aux États-Unis, le public n’a jamais fait aussi peu confiance aux informations livrées par les médias privés : un récent sondage de Gallup a révélé que seulement quatre Américains sur dix considéraient que les médias faisaient état des « actualités pleinement, avec justesse et précision ». Selon le baromètre de confiance annuel d’Edelman, « les médias communautaires représentent désormais deux des trois sources d’informations les plus utilisées », ce qui montre que le public se détourne des sources traditionnelles.
La photographie n’a jamais été aussi puissante qu’à notre époque, mais le photojournalisme voit naître une esthétique inquiétante et uniformisée, des photos qui, comme celles de McCurry, ressemblent surtout à des photogrammes de films. Faire une image esthétique est-il plus important que de décrire la réalité ? En tant qu’industrie comme en tant que spectateurs, souhaitons-nous que nos photos présentent une vision édulcorée du monde ? Voulons-nous que les générations à venir regardent notre histoire visuelle sans pouvoir distinguer le réel du fabriqué ?
Les photojournalistes pratiquent l’un des métiers les plus difficiles et parfois les plus ingrats du monde des médias. Ils mettent souvent leur vie en danger pour rapporter des histoires qui comptent, et faire entendre la voix de ceux qui ne peuvent pas parler en leur nom. Ils jouent un rôle essentiel parce qu’ils témoignent, racontent des histoires signifiantes et nous aident à donner du sens à ce qui se passe à travers le monde et chez nous.
Le monde est imparfait, et le rôle du photojournalisme est de refléter cette imperfection. Le photojournalisme est le miroir critique du monde. Dans le passé, les photojournalistes ne pouvaient publier que dans les médias privés. L’espace numérique offre aujourd’hui de nouvelles possibilités d’intéresser directement le public. Nous vivons une époque de changements. Les photojournalistes ont besoin de trouver de nouvelles façons de raconter et de redéfinir la manière de témoigner du monde. Laissez-nous entendre votre voix.
Liens:
Original post from Paolo Viglione http://www.paoloviglione.it/quando-steve-mccurry-etc-etc/
Petapixel http://petapixel.com/2016/05/06/botched-steve-mccurry-print-leads-photoshop-scandal/
Peter van Agtmael http://time.com/4326791/fact-truth-photography-steve-mccurry/
Photojournalism Now Blog – Photojournalism Now http://photojournalismnow.blogspot.com.au