Après 4 années de riche collaboration, la SAS Yves Saint Laurent et son ancien directeur de la création et de l’image entrent dans leur cinquième année de bataille judiciaire. Depuis son départ en mars 2016, nombreux sont les points de désaccord entre le créateur français Hedi Slimane et la société de conseils californienne qu’il préside, d’une part, et la célèbre maison de couture appartenant aujourd’hui au groupe Pinault-Printemps-Redoute devenu Kering, d’autre part.
Les protagonistes de cette saga judiciaire s’opposent notamment sur le versement d’un complément de rémunération au styliste, mais aussi sur le paiement d’une indemnité en contrepartie de l’obligation de non-concurrence qui lui était contractuellement imposée, ou encore sur la résiliation unilatérale d’un pacte d’actionnaires que le directeur artistique a contesté. Jusqu’à présent, les différents magistrats saisis ont donné gain de cause à Hedi Slimane, qui a ainsi obtenu la condamnation d’YSL au paiement d’une somme totale de plus de 20 millions d’euros. Ces procès sont toujours en cours.
Les droits d’auteur du photographe et vidéaste Hedi Slimane ont aussi été au cœur du conflit judiciaire l’opposant à son ancien « employeur ». L’ex-directeur artistique d’YSL, devenu celui de la maison Céline appartenant au groupe concurrent LVMH, considère en effet que la société YSL a porté atteinte à ses droits d’auteurs sur ses photographies et vidéos réalisées pour 48 campagnes publicitaires entre 2012 et 2016 en les reproduisant, diffusant et représentant sur son site Internet sans son autorisation et sans la mention de son nom en qualité d’auteur au-delà de la période de 2 ans prévue à leur contrat.
Débouté le 7 décembre 2017 par le Tribunal de grande instance de Paris, qui a considéré que la contrefaçon de droits d’auteur n’était pas constituée, les magistrats de la Cour d’appel de Paris viennent de donner raison à Hedi Slimane dans un arrêt du 19 juin 2020 en condamnant YSL pour contrefaçon.
Contrairement au Tribunal, la Cour considère qu’il y a bien en l’espèce un acte de contrefaçon des droits de l’auteur des photographies et vidéos, réfutant l’argumentation d’YSL qui invoquait la liberté de communication, la liberté d’expression, mais aussi un droit d’archive non exclusif et illimité dans le temps qui résulterait de l’économie du contrat et des usages de la profession.
Les magistrats font droit à la demande d’Hedi Slimane et, après avoir rappelé que « les contrats portant sur les droits d’auteur doivent s’interpréter restrictivement en faveur de l’auteur », indiquent qu’il ressort dans cette affaire des diverses pièces communiquées par les parties que l’auteur des photographies et vidéos n’a pas expressément autorisé l’usage de ses œuvres sans rémunération au-delà d’une durée de 2 ans, ni n’a expressément renoncé à ses droits patrimoniaux d’auteur. Et le fait que l’artiste n’ai pas immédiatement fait valoir ses droits à l’expiration de ces 2 années « ne saurait être interprété comme une tolérance génératrice de droit pour la société YSL dès lors que la tolérance n’a aucun effet en droit d’auteur ».
La Cour d’appel rappelle également que « la liberté d’expression ou de communication (…) n’est pas sans limite » et ne peut justifier la violation des droits de l’auteur, dont la production photographique ne pouvait ici être diffusée, représentée et reproduite au-delà du délai initialement négocié sans son autorisation expresse et sans une rémunération adéquate, évaluée en l’espèce à 6.000 euros par campagne litigieuse et par année de réusage, chaque campagne ayant été initialement facturée 50.000 euros par Hedi Slimane. Le préjudice est ainsi évalué à 618.000 euros, contre les 10,2 millions réclamés par l’artiste dans son assignation.
Nous ne savons pas si la SAS Yves Saint Laurent a formée ou a l’intention de former un pourvoi en cassation contre cet arrêt qui la condamne par ailleurs à payer 80.000 euros au styliste au titre des frais de procédure.
Julie Raignault, avocat à la Cour
GRAMOND & ASSOCIES
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