WC avec vue
« Où sont les toilettes s’il vous plaît ? ». Du boui-boui au palace, cette question, formulée ou non, se pose à tous. Lieu caché, d’intimité ou de convivialité, les toilettes sont révélatrices d’une société. Des latrines Romaines où les discussions allaient bon train aux toilettes japonaises équipées d’un bruiteur pour couvrir les bruits intimes, toutes les variantes ont existé. Gamin, lors de mes premières sorties en montagne, j’ai été étonné et ravi de la simplicité des toilettes de refuge, quatre planches, un trou, et c’est tout !
Les WC de refuge présentent un puissant paradoxe : situés dans des lieux préservés et magnifiques, proches de glacier ou de neiges éternelles, leurs souillures partent polluer les paysages dans lesquels ils se mirent. Le voyageur n’a pas d’autre choix que de polluer les sites dans lesquels il est venu chercher la beauté et la pureté.
Les constructions, parfois sommaires, sont souvent vertigineusement placées pour faciliter l’évacuation. Il n’est pas rare d’avoir un gouffre entre les pieds. Il est parfois plus sûr de chausser les crampons pour les rejoindre, et leur utilisation peut s’avérer périlleuse par jour de tempête, quand le vent s’engouffre entre les planches ou rentre carrément par l’orifice d’évacuation.
Mais si on fait abstraction de ces gènes, la vue est généralement exceptionnelle, si loin des mornes murs des toilettes de plaine. Le lieu, l’air vif, le bruit du vent entre les planches, la neige qui frappe la mince cloison ou s’insinue à l’intérieur, la luminosité exceptionnelle de l’extérieur font oublier la souillure infligée à la montagne et créent un contraste frappant entre la beauté environnante et ce lieu de soulagement des contingences humaines.
Cependant, l’air du temps lui aussi fini par monter de la vallée et fait peu à peu disparaître ces toilettes anachroniques. Les rénovations ou reconstructions en ont raison et les nouveaux WC sont le plus souvent intégrés dans les bâtiments, ventilés, secs, chauffés, mais sans vue ni charme. Il n’y a plus de différence avec les lieux banalisés que l’on trouve en plaine. Si l’authenticité y perd, l’environnement y est largement gagnant.
En regroupant ces photographies, j’ai simplement voulu rendre un modeste hommage à ces baraques bricolées, parfois au bord du précipice, ces WC du vertige, dont certains ont déjà disparu.
C’est plus un inventaire à la Prévert, au moins sur la forme : noir et blanc et couleur, argentique et numérique, portrait et paysage. Prises en France, et Suisse ou en Italie, ces photos n’étaient pas destinées à créer une série, du moins à l’origine.
Mais peut-être aussi que cette envie de collectionner ces photos m’a t’elle été inspirée par mes initiales ?
Philippe Quaglia